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sommet du Corridor.
Quand une decision est prise, le mieux est de l'executer sans retard.
Nous traversons donc le Grand-Plateau et nous arrivons au pied de cet
obstacle vraiment effrayant.
Plus nous avancons, plus son inclinaison semble se rapprocher de la
verticale. En outre, plusieurs crevasses que nous n'avions pas apercues
s'ouvrent a ses pieds.
Nous commencons neanmoins cette difficile ascension. Le premier guide
de tete ebauche les marches, le second les acheve. Nous faisons deux pas
par minute. Plus nous montons, plus l'inclinaison augmente. Nos guides
eux-memes se consultent sur la route a suivre; ils parlent en patois et
ne sont pas toujours d'accord, ce qui n'est pas bon signe. Enfin,
l'inclinaison devient telle que le bord de nos chapeaux touche les
mollets du guide qui nous precede. Une mitraille de morceaux de glace
produite par la taille des pas nous aveugle et rend notre position
encore plus penible. Alors, m'adressant a nos guides de tete:
"Ah ca, leur dis-je, c'est tres-bien de monter par la! Cela n'est pas
une grande route, j'en conviens, mais c'est encore praticable.
Seulement, par ou nous ferez-vous redescendre?
--Oh! monsieur, me repondit Ambroise Ravanel, au retour, nous prendrons
un autre chemin."
Enfin, apres deux heures de violents efforts, et apres avoir taille plus
de quatre cents marches dans cette montee effrayante, nous arrivons a
bout de forces au sommet du Corridor.
Nous traversons alors un plateau de neige legerement incline, et nous
cotoyons une immense crevasse qui nous barre la route. A peine
l'avons-nous tournee qu'un cri d'admiration s'echappe de nos poitrines.
A droite le Piemont et les plaines de la Lombardie sont a nos pieds. A
gauche, les massifs des Alpes Pennines et de l'Oberland, couronnes de
neige, elevent leurs cimes incomparables. Le mont Rose et le Cervin
seuls, nous dominent encore, mais bientot nous les dominerons a notre
tour.
Cette reflexion nous ramene au but de notre expedition. Nous tournons
nos regards vers le mont Blanc et nous restons stupefaits.
"Dieu! qu'il est encore loin! s'ecrie Levesque.
--Et haut!" ajoutai-je.
C'etait en effet desesperant. Le fameux mur de la cote, si redoute,
qu'il fallait absolument franchir, etait devant nous avec son
inclinaison de cinquante degres. Mais, apres avoir escalade le mur du
Corridor, il ne nous effrayait pas. Nous prenons une demi-heure de
repos, puis nous continuons notre route; mais nous nous
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