sommite conquise au prix de tant de labeurs; le
ressort qui vous poussait en montant, ce besoin de dominer, si naturel
et si imperieux, vous fait defaut; vous marchez sans ardeur, en
regardant souvent en arriere!
Il fallut pourtant se decider. Apres une derniere libation du Champagne
traditionnel, nous nous mettons en route. Nous etions restes une heure
au sommet. L'ordre de marche etait change. La caravane de M. N... etait
en tete, et sur la demande de son guide, Paccard, nous nous attachons
tous ensemble. L'etat de fatigue dans lequel se trouvait M. N..., que
ses forces trahissaient, mais non sa volonte, pouvait faire craindre des
chutes que nos efforts reunis parviendraient peut-etre a arreter.
L'evenement justifia notre apprehension. En descendant le mur de la
cote, M. N... fit plusieurs faux pas. Ses guides, tres vigoureux et tres
habiles, purent heureusement l'arreter au passage; mais les notres,
craignant avec raison que la caravane tout entiere ne fut entrainee,
voulurent se detacher. Levesque et moi, nous nous y opposons, et, en
prenant les plus grandes precautions, nous arrivons sans encombre au bas
de cette cote vertigineuse qu'il faut descendre en avant. Il n'y a pas
d'illusion possible; l'abime, le vide presque sans fond est devant vous,
et les morceaux de glace detaches qui passent pres de vous en
bondissant, avec la rapidite d'une fleche, vous montrent parfaitement la
route que prendrait la caravane si vous veniez a manquer.
Une fois ce mauvais pas franchi, je commencai a respirer. Nous
descendions les pentes peu inclinees qui conduisent au sommet du
Corridor. La neige, ramollie par la chaleur, cedait sous nos pas; nous y
enfoncions jusqu'au genou, ce qui rendait notre marche tres fatigante.
Nous suivions toujours nos traces du matin, et je m'en etonnais, quand
Gaspard Simon, se tournant vers moi, me dit:
"Monsieur, nous ne pouvons pas prendre d'autre chemin, le Corridor est
impraticable, et il faut absolument redescendre par le mur que nous
avons grimpe ce matin."
Je communiquai a Levesque cette nouvelle peu agreable.
"Seulement, ajouta Gaspard Simon, je ne crois pas que nous puissions
rester attaches tous ensemble. Au reste, nous verrons comment M. N... se
comportera au debut."
Nous avancions vers ce terrible mur. La caravane de M. N... commencait a
descendre, et nous entendions les paroles assez vives que lui adressait
Paccard. La pente devenait telle, que nous n'apercevions plus ni lui ni
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