i fit,
avec Jacques Balmat, la premiere ascension du mont Blanc, etait deja
monte dix-huit fois au sommet. M. N... se disposait, lui aussi, a en
faire l'ascension. Il avait beaucoup voyage en Amerique et traverse les
Cordilleres des Andes du cote de Quito, en passant au milieu des neiges
par les cols les plus eleves; il pensait donc pouvoir, sans trop de
difficultes, mener a bien sa nouvelle entreprise; mais en cela il se
trompait. Il avait compte sans la verticalite des pentes qu'il avait a
franchir, et sans la rarefaction de l'air.
Je me hate d'ajouter, a son honneur, que s'il reussit a atteindre la
cime du mont Blanc, ce fut grace a une energie morale bien rare, car les
forces physiques l'avaient abandonne depuis longtemps.
Nous dejeunames a la Pierre-Pointue aussi copieusement que possible.
C'est une mesure de prudence, car generalement l'appetit disparait des
qu'on entre dans les regions glacees.
M. N... partit avec ses guides vers onze heures pour les Grands-Mulets.
Nous ne nous mimes en route qu'a midi. A la Pierre-Pointue cesse le
chemin de mulets. Il faut alors gravir en zigzags un sentier tres-raide
qui suit le bord du glacier des Bossons et longe la base de l'aiguille
du Midi. Apres une heure d'un travail assez penible, par une chaleur
intense, nous arrivons a un point nomme la Pierre-a-l'Echelle, situe a
2,700 metres. La, guides et voyageurs s'attachent ensemble par une forte
corde, en laissant entre eux un espace de trois a quatre metres. Il
s'agit en effet d'entrer sur le glacier des Bossons. Ce glacier, d'un
abord difficile, presente de tous cotes des crevasses beantes et sans
fond appreciable. Les parois verticales de ces crevasses ont une couleur
glauque et incertaine, trop seduisante a l'oeil; quand, en s'approchant
avec precaution, on parvient a penetrer du regard leurs profondeurs
mysterieuses, on se sent attire vers elles avec violence, et rien ne
semble plus naturel que d'y aller faire un tour.
On s'avance lentement, tantot en contournant les crevasses, tantot en
les traversant avec une echelle, ou bien sur des ponts de neige d'une
solidite problematique. C'est alors que la corde joue son role. On la
tend pendant le passage dangereux; si le pont de neige vient a manquer,
guide ou voyageur reste suspendu au-dessus de l'abime. On le retire et
il en est quitte pour quelques contusions. Parfois, si la crevasse est
tres-large, mais peu profonde, on descend au fond pour remonter de
l'autre cote.
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