e fait n'est pas le droit, dit Gilberte
en s'adressant a Emile avec vivacite, ne voulut pas tirer avantage de sa
position. Il faut que vous sachiez cette histoire, monsieur Cardonnet, car
ce n'est pas mon pere qui songerait a vous la raconter, et vous etes assez
nouveau dans le pays pour ne pas l'avoir apprise encore. Mon grand-pere
avait contracte des dettes d'honneur pendant la minorite de mon pere; il
etait mort sans que les circonstances lui permissent ou lui fissent un
devoir pressant de s'acquitter. Les titres des creanciers n'avaient pas de
valeur suffisante devant la loi; mais mon pere, en se mettant au courant de
ses affaires, en trouva un dans les papiers de mon aieul. Il eut pu
l'aneantir, personne n'en connaissait l'existence. Il le produisit, au
contraire, et vendit tous les biens de la famille pour payer une dette
sacree. Mon, pere m'a elevee dans les principes qui ne me permettent pas de
penser qu'il ait fait autre chose que son devoir; mais beaucoup de gens
riches en ont juge autrement. Quelques-uns l'ont traite de niais et de tete
folle. Je suis bien aise que, quand vous entendrez dire a certains parvenus
que M. Antoine de Chateaubrun s'est ruine par sa faute, ce qui, a leurs
yeux, est peut-etre le plus grand deshonneur possible, vous sachiez a quoi
vous en tenir sur le desordre et la mauvaise tete de mon pere.
--Ah! Mademoiselle, s'ecria Emile domine par son emotion, que vous etes
heureuse d'etre sa fille, et combien je vous envie cette noble pauvrete!
--Ne faites pas de moi un heros, mon cher enfant, dit M. Antoine en
pressant la main d'Emile. Il y a toujours quelque chose de vrai au fond des
jugements portes par les hommes, meme quand ils sont rigoureux et injustes
en grande partie. Il est bien certain que j'ai toujours ete un peu
prodigue, que je n'entends rien a l'economie domestique, aux affaires, et
que j'eus moins de merite qu'un autre a sacrifier ma fortune, puisque j'y
eus moins de regrets."
Cette modeste apologie penetra Emile d'une si vive affection pour M.
Antoine, qu'il se pencha sur la main qui tenait la sienne, et qu'il y porta
ses levres avec un sentiment de veneration ou Gilberte entrait bien pour
quelque chose. Gilberte fut plus emue qu'elle ne s'y attendait de cette
soudaine effusion du jeune homme. Elle sentit une larme au bord de sa
paupiere, baissa les yeux pour la cacher, essaya de prendre un maintien
grave, et, tout a coup emportee par un irresistible mouvement de coeur,
ell
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