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-- Voici, Madame, dit-il, M. de Gondy qui s'empresse de se rendre
aux ordres de Votre Majeste.
La reine fit quelques pas a sa rencontre et s'arreta froide,
severe, immobile et la levre inferieure dedaigneusement avancee.
Gondy s'inclina respectueusement.
-- Eh bien, monsieur, dit la reine, que dites-vous de cette
emeute?
-- Que ce n'est deja plus une emeute, Madame, repondit le
coadjuteur, mais une revolte.
-- La revolte est chez ceux qui pensent que mon peuple puisse se
revolter! s'ecria Anne incapable de dissimuler devant le
coadjuteur, qu'elle regardait a bon titre peut-etre, comme le
promoteur de toute cette emotion. La revolte, voila comment
appellent ceux qui la desirent le mouvement qu'ils ont fait eux-
memes; mais, attendez, attendez, l'autorite du roi y mettra bon
ordre.
-- Est-ce pour me dire cela, Madame, repondit froidement Gondy,
que Votre Majeste m'a admis a l'honneur de sa presence?
-- Non, mon cher coadjuteur, dit Mazarin, c'etait pour vous
demander votre avis dans la conjoncture facheuse ou nous nous
trouvons.
-- Est-il vrai, demanda de Gondy en feignant l'air d'un homme
etonne, que Sa Majeste m'ait fait appeler pour me demander un
conseil?
-- Oui, dit la reine, on l'a voulu.
Le coadjuteur s'inclina.
-- Sa Majeste desire donc...
-- Que vous lui disiez ce que vous feriez a sa place, s'empressa
de repondre Mazarin.
Le coadjuteur regarda la reine, qui fit un signe affirmatif.
-- A la place de Sa Majeste, dit froidement Gondy, je n'hesiterais
pas, je rendrais Broussel.
-- Et si je ne le rends pas, s'ecria la reine, que croyez-vous
qu'il arrive?
-- Je crois qu'il n'y aura pas demain pierre sur pierre dans
Paris, dit le marechal.
-- Ce n'est pas vous que j'interroge, dit la reine d'un ton sec et
sans meme se retourner, c'est M. de Gondy.
-- Si c'est moi que Sa Majeste interroge, repondit le coadjuteur
avec le meme calme, je lui dirai que je suis en tout point de
l'avis de monsieur le marechal.
Le rouge monta au visage de la reine, ses beaux yeux bleus
parurent prets a lui sortir de la tete; ses levres de carmin,
comparees par tous les poetes du temps a des grenades en fleur,
palirent et tremblerent de rage: elle effraya presque Mazarin lui-
meme, qui pourtant etait habitue aux fureurs domestiques de ce
menage tourmente:
-- Rendre Broussel! s'ecria-t-elle enfin avec un sourire
effrayant: le beau conseil, par ma foi! On voit bien qu'il vient
d'un pretre!
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