ssard, un beau
matin, cessa de venir au bureau. Il avait reussi, parait-il; mais
la _Caisse territoriale_ ne lui avait pas semble un placement assez
avantageux pour l'argent de sa bonne amie. Est-ce honnete, voyons?
D'ailleurs, le sentiment de l'honnetete se perd si aisement que c'est
a ne pas le croire. Quand je pense que moi, Passajon, avec mes cheveux
blancs, mon air venerable, mon passe si pur,--trente ans de services
academiques,--je me suis habitue a vivre comme un poisson dans l'eau, au
milieu de ces infamies, de ces tripotages! C'est a se demander ce que je
fais ici, pourquoi j'y reste, comment j'y suis venu.
Comment j'y suis venu? Oh! mon Dieu, bien simplement. Il y a quatre
ans, ma femme etant morte, mes enfants maries, je venais de prendre ma
retraite de garcon de salle a la Faculte, lorsqu'une annonce de journal
me tomba incidemment sous les yeux: "On demande un garcon de bureau
d'un certain age a la _Caisse territoriale_, 56, boulevard Malesherbes.
Bonnes references." Faisons-en l'aveu tout d'abord. La Babylone moderne
m'avait toujours tente. Puis, je me sentais encore vert, je voyais
devant moi dix bonnes annees pendant lesquelles je pourrais gagner un
peu d'argent, beaucoup peut-etre, en placant mes economies dans
la maison de banque ou j'entrerais. J'ecrivis donc en envoyant ma
photographie, celle de chez Crespon, de la place du Marche, ou je suis
represente le menton bien rase, l'oeil vif sous mes gros sourcils
blancs, avec ma chaine d'acier au cou, mon ruban d'officier d'academie,
"l'air d'un pere conscrit sur sa chaise curule!" comme disait notre
doyen, M. Chalmette. (Il pretendait encore que je ressemblais beaucoup a
feu Louis XVIII; moins fort cependant.)
Je fournis aussi les meilleures references, les apostilles les plus
flatteuses de ces messieurs de la Faculte. Courrier par courrier, le
gouverneur me repondit que ma figure lui convenait,--je crois bien,
parbleu! c'est une amorce pour l'actionnaire, qu'une antichambre gardee
par un visage imposant comme le mien,--et que je pouvais arriver quand
je voudrais. J'aurais du, me direz-vous, prendre mes renseignements, moi
aussi. Eh! sans doute. Mais j'en avais tant a fournir sur moi-meme, que
la pensee ne me vint pas de leur en demander sur eux. Comment se mefier,
d'ailleurs, en voyant cette installation admirable, ces hauts plafonds,
ces coffres-forts, grands comme des armoires, et ces glaces ou l'on se
voit de la tete aux genoux. Puis ces prospec
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