tus ronflants, ces millions
que j'entendais passer dans l'air, ces entreprises colossales a
benefices fabuleux. Je fus ebloui, fascine... Il faut dire aussi, qu'a
l'epoque, la maison avait une autre mine qu'aujourd'hui. Certainement,
les affaires allaient deja mal,--elles sont toujours allees mal, nos
affaires,--le journal ne paraissait plus que d'une facon irreguliere.
Mais une petite _combinazione_ du gouverneur lui permettait de sauver
les apparences.
Il avait eu l'idee, figurez-vous, d'ouvrir une souscription patriotique
pour elever une statue au general Paolo, Paoli, enfin, a un grand homme
de son pays. Les Corses ne sont pas riches, mais ils sont vaniteux
comme des dindons. Aussi l'argent affluait a la _Territoriale_.
Malheureusement, cela ne dura pas. Au bout de deux mois, la statue
etait devoree avant d'etre construite et la serie des protets, des
assignations recommencait. Aujourd'hui je m'y suis habitue. Mais, en
arrivant de ma province, les affiches par autorite de justice, les
Auvergnats devant la porte me causaient une impression facheuse. Dans la
maison, on n'y faisait plus attention. On savait qu'au dernier moment
il arriverait toujours un Monpavon, un Bois-l'Hery, pour apaiser les
huissiers; car, tous ces messieurs, engages tres avant dans l'affaire,
sont interesses a eviter la faillite. C'est bien ce qui le sauve, notre
malin gouverneur. Les autres courent apres leur argent,--on sait ce que
cela veut dire au jeu,--et ils ne seraient pas flattes que toutes les
actions qu'ils ont dans les mains ne fussent plus bonnes qu'a vendre au
poids du papier.
Du petit au grand, nous en sommes tous la dans la maison. Depuis le
proprietaire, a qui l'on doit deux ans de loyer, et qui de peur de tout
perdre, nous garde pour rien, jusqu'a nous autres, pauvres employes,
jusqu'a moi, qui en suis pour mes sept mille francs d'economies, et mes
quatre ans d'arriere, nous courons apres notre argent. C'est pour cela
que je m'entete a rester ici.
Sans doute, j'aurais pu, malgre mon grand age, grace a ma bonne
tournure, a mon education, au soin que j'ai toujours pris de mes hardes,
me presenter dans une autre administration. Il y a une personne fort
honorable que je connais, M. Joyeuse, un teneur de livres de chez
Hemerlingue et fils, les grands banquiers de la rue Saint-Honore, qui, a
chaque fois qu'il me rencontre, ne manque jamais de me dire:
"Passajon, mon ami, ne reste pas dans cette caverne de brigands. Tu
as tort
|