au detour de la rue
Saint-Ferdinand un de ses petits romans intimes. La fin de l'annee toute
proche, peut-etre une baraque en planches que l'on clouait dans le
chantier voisin lui fit penser "etrennes... jour de l'an." Et tout de
suite le mot de gratification se planta dans son esprit comme le premier
jalon d'une histoire etourdissante. Au mois de decembre, tous les
employes d'Hemerlingue touchaient des appointements doubles, et vous
savez que, dans les petits menages, on base sur ces sortes d'aubaines
mille projets ambitieux ou aimables, des cadeaux a faire, un meuble a
remplacer, une petite somme gardee dans un tiroir pour l'imprevu.
C'est que M. Joyeuse n'etait pas riche. Sa femme, une demoiselle de
Saint-Arnaud, tourmentee d'idees de grandeur et de mondanite, avait mis
ce petit interieur d'employe sur un pied ruineux, et depuis trois ans
qu'elle etait morte et que Bonne Maman menait la maison avec tant de
sagesse, on n'avait pas encore pu faire d'economies, tellement le passe
se trouvait lourd. Tout a coup le brave homme se figura que cette annee
la gratification allait etre plus forte a cause du surcroit de travail
qu'on avait eu pour l'emprunt tunisien. Cet emprunt constituait une tres
belle affaire pour les patrons, trop belle meme, car M. Joyeuse s'etait
permis de dire dans les bureaux que cette fois "Hemerlingue et fils
avaient tondu le turc un peu trop ras."
"Certainement, oui, la gratification sera doublee," pensait l'imaginaire
tout en marchant; et deja il se voyait a un mois de la, montant avec
ses camarades, pour la visite du jour de l'an, le petit escalier qui
conduisait chez Hemerlingue. Celui-ci leur annoncait la bonne nouvelle;
puis il retenait M. Joyeuse en particulier. Et voila que ce patron si
froid, d'habitude, enferme dans sa graisse jaune comme dans un ballot
de soie grege, devenait affectueux, paternel, communicatif. Il voulait
savoir combien M. Joyeuse avait de filles.
"J'en ai trois... non, c'est-a-dire quatre, monsieur le baron... Je
confonds toujours. L'ainee est si raisonnable."
Savoir aussi quel age elles avaient?
"Aline a vingt ans, monsieur le baron. C'est l'ainee... Puis nous avons
Elise qui prepare son examen de dix-huit ans... Henriette qui en a
quatorze et Zaza ou Yaia qui n'a que douze ans."
Ce petit nom de Yaia amusait prodigieusement M. le baron, qui voulait
connaitre encore quelles etaient les ressources de cette interessante
famille.
"Mes appointements, monsieur
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