ans le desert de
l'escalier:
"Pere, n'oublie pas ma musique...
--Pere, ma laine a broder...
--Pere, rapporte-nous des petits pains..."
Et la voix du pere qui appelait d'en bas:
"Yaia, descends-moi donc ma serviette...
--Allons, bon! il a oublie sa serviette..."
Et c'etait un empressement joyeux du haut en bas de la maison, une
course de tous ces minois brouilles de sommeil, de toutes ces chevelures
ebouriffees que l'on rajustait en chemin, jusqu'au moment ou, penchees
sur la rampe, une demi-douzaine de jeunes filles adressaient leurs
adieux sonores a un petit vieux monsieur, net et bien brosse, dont la
face rougeaude, la silhouette etriquee, disparaissaient enfin dans la
perspective tournante des marches. M. Joyeuse etait parti pour son
bureau... Alors, toute cette echappee de voliere remontait vite au
quatrieme et, la porte tiree, se groupait a une croisee ouverte pour
regarder le pere encore une fois. Le petit homme se retournait, des
baisers s'echangeaient de loin, puis les fenetres se fermaient; la
maison neuve et deserte redevenait tranquille, a part les ecriteaux
dansant leur folle sarabande au vent de la rue inachevee, comme mis
en gaiete eux aussi par toutes ces evolutions. Un moment apres, le
photographe du cinquieme descendait suspendre a la porte sa vitrine
d'exposition, toujours la meme, ou l'on voyait le vieux monsieur en
cravate blanche entoure de ses filles en groupes varies; il remontait a
son tour, et le calme succedant tout a coup a ce petit tapage matinal
laissait a supposer que "le pere" et ses demoiselles etaient rentres
dans le cadre de photographies, ou ils se tenaient souriants et
immobiles jusqu'au soir.
De la rue Saint-Ferdinand chez Hemerlingue et fils, ses patrons, M.
Joyeuse avait bien trois quarts d'heure de route. Il marchait, la tete
droite et raide, comme s'il avait craint de deranger le beau noeud de
cravate attache par ses filles, son chapeau pose par elles; et lorsque
l'ainee, toujours inquiete et prudente, lui relevait au moment de sortir
le collet de sa redingote pour eviter le maudit coup de vent du coin
de la rue, meme avec une temperature de serre chaude M. Joyeuse ne le
rabattait plus jusqu'au bureau, pareil a l'amoureux qui sort des mains
de sa maitresse et n'ose plus bouger de peur de perdre l'enivrant
parfum.
Veuf depuis quelques annees, ce brave homme n'existait que pour ses
enfants, ne songeait qu'a elles, s'en allait dans la vie entoure de ces
petites
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