our mettre son argent dans une baraque
pareille... Allons donc!... Est-ce que c'est possible? A d'autres, mon
cher gouverneur.
IV
UN DEBUT DANS LE MONDE.
"Monsieur Bernard Jansoulet!..."
Ce nom plebeien, accentue fierement par la livree, lance d'une voix
retentissante, sonna dans les salons de Jenkins, comme un coup de
cymbale, un de ces gongs qui, sur les theatres de feerie, annoncent les
apparitions fantastiques. Les lustres palirent, il y eut une montee de
flamme dans tous les yeux, a l'eblouissante perspective des tresors
d'Orient, des pluies de sequins et de perles secouees par les syllabes
magiques de ce nom hier inconnu.
Lui, c'etait lui, le Nabab, le riche des riches, la haute curiosite
parisienne, epicee de ce ragout d'aventures qui plait tant aux foules
rassasiees. Toutes les tetes se tournerent, toutes les conversations
s'interrompirent; il y eut vers la porte une poussee de monde, une
bousculade comme sur le quai d'un port de mer pour voir entrer une
felouque chargee d'or.
Jenkins lui-meme, si accueillant, si maitre de lui, qui se tenait dans
le premier salon pour recevoir ses invites, quitta brusquement le groupe
d'hommes dont il faisait partie et s'elanca au-devant des galions.
"Mille fois, mille fois aimable... Madame Jenkins va etre bien heureuse,
bien fiere... Venez que je vous conduise."
Et, dans sa hate, dans sa vaniteuse jouissance, il entraina si vite
Jansoulet que celui-ci n'eut pas le temps de lui presenter son compagnon
Paul de Gery, auquel il faisait faire son debut dans le monde. Le
jeune homme fut bien heureux de cet oubli. Il se faufila dans la masse
d'habits noirs sans cesse refoulee plus loin a chaque nouvelle entree,
s'y engloutit, pris de cette terreur folle qu'eprouve tout jeune
provincial introduit dans un salon de Paris, surtout lorsqu'il est
intelligent et fin, et qu'il ne porte pas comme une cotte de mailles
sous son plastron de toile l'imperturbable aplomb des rustres.
Vous tous, Parisiens de Paris, qui des l'age de seize ans avez, dans
votre premier habit noir et le claque sur la cuisse, promene votre
adolescence a travers les receptions de tous les mondes, vous ne
connaissez pas cette angoisse faite de vanite, de timidite, de souvenirs
de lectures romanesques, qui nous visse les dents l'une dans l'autre,
engoue nos gestes, fait de nous pour toute une nuit un entre-deux de
porte, un meuble d'embrasure, un pauvre etre errant et lamentable
incapable de ma
|