des domestiques et a l'espece
particuliere des miens.
Pour en revenir a Francoise, je n'ai jamais dans ma vie eprouve une
humiliation sans avoir trouve d'avance sur le visage de Francoise des
condoleances toutes pretes; et si, lorsque dans ma colere d'etre plaint
par elle, je tentais de pretendre avoir au contraire remporte un succes,
mes mensonges venaient inutilement se briser a son incredulite
respectueuse, mais visible, et a la conscience qu'elle avait de son
infaillibilite. Car elle savait la verite; elle la taisait et faisait
seulement un petit mouvement des levres comme si elle avait encore la
bouche pleine et finissait un bon morceau. Elle la taisait, du moins je
l'ai cru longtemps, car a cette epoque-la je me figurais encore que
c'etait au moyen de paroles qu'on apprend aux autres la verite. Meme les
paroles qu'on me disait deposaient si bien leur signification
inalterable dans mon esprit sensible, que je ne croyais pas plus
possible que quelqu'un qui m'avait dit m'aimer ne m'aimat pas, que
Francoise elle-meme n'aurait pu douter, quand elle l'avait lu dans un
journal, qu'un pretre ou un monsieur quelconque fut capable, contre une
demande adressee par la poste, de nous envoyer gratuitement un remede
infaillible contre toutes les maladies ou un moyen de centupler nos
revenus. (En revanche, si notre medecin lui donnait la pommade la plus
simple contre le rhume de cerveau, elle si dure aux plus rudes
souffrances gemissait de ce qu'elle avait du renifler, assurant que cela
lui "plumait le nez", et qu'on ne savait plus ou vivre.) Mais la
premiere, Francoise me donna l'exemple (que je ne devais comprendre que
plus tard quand il me fut donne de nouveau et plus douloureusement,
comme on le verra dans les derniers volumes de cet ouvrage, par une
personne qui m'etait plus chere) que la verite n'a pas besoin d'etre
dite pour etre manifestee, et qu'on peut peut-etre la recueillir plus
surement sans attendre les paroles et sans tenir meme aucun compte
d'elles, dans mille signes exterieurs, meme dans certains phenomenes
invisibles, analogues dans le monde des caracteres a ce que sont, dans
la nature physique, les changements atmospheriques. J'aurais peut-etre
pu m'en douter, puisque a moi-meme, alors, il m'arrivait souvent de dire
des choses ou il n'y avait nulle verite, tandis que je la manifestais
par tant de confidences involontaires de mon corps et de mes actes
(lesquelles etaient fort bien interpretees par Francoise); j
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