ngee d'une
jeune bourgeoise de Paris, ou bien a la lueur rougeatre d'une lampe
vacillante, qu'Abelard, impatient et ravi, venait employer a seduire
une pauvre fille sans experience et sans crainte le genie qui soulevait
toutes les ecoles du monde. C'est la que les plaisirs de la science,
les joies de la pensee, les emotions de l'eloquence, tout etait mis
en oeuvre pour charmer, pour troubler, pour plonger dans une ivresse
profonde et nouvelle, ce noble et tendre coeur qui n'a jamais connu
qu'un amour et qu'une douleur, ce coeur que Dieu meme n'a pu disputer a
son amant.
Mais quelles lecons Abelard donnait-il a Heloise? Lui enseignait-il les
secrets du langage et les arts savants de l'antiquite? Promenait-il cet
esprit penetrant et curieux dans les sentiers sinueux de la dialectique?
Lui revelait-il les obscurs mysteres de la foi, dans le langage lumineux
de la raison philosophique? Enfin lui lisait-il ces poetes qu'il cite
dans ses ouvrages les plus austeres, et le professeur de theologie
recitait-il a son eleve, avec ce talent de diction qu'on admirait, les
vers impurs de l'_Art d'aimer_[65]? Quel fut enfin, quel fut le livre
qui servit, comme dans le recit du Dante, a la seduction de cette femme,
historique modele de la poetique Francoise de Rimini[66]? On ne le sait,
et cependant on sait que tout le talent d'Abelard fut complice de son
amour. "Vous aviez," lui ecrivait, longtemps apres, Heloise encore
charmee de ce qui l'avait perdue, "vous aviez surtout deux choses qui
pouvaient soudain vous gagner le coeur de toutes les femmes, c'etait
la grace avec laquelle vous recitiez et celle avec laquelle vous
chantiez[67]." Et ses chants, il les composait pour elle. Ainsi le
philosophe etait devenu un orateur, un artiste, un poete. L'amour avait
complete son genie et acheve son universalite.
[Note 65: Abelard cite souvent Ovide, el quelquefois l'_Art
d'aimer_.]
[Note 66: la bocca mi bacio tutto tremante; Galeotto fu il libro e
chi lo scrisse. (DANTE, c. V.)]
[Note 67: "Duo autem, fateor, tibi specialiter inerant quibus
foeminorum quarumlibet animos statim allicere poteras, dictandi scilicet
et cantandi gratia." (_Ab. Op._, ep. II, p. 46.)]
On sent que tout dut seconder une seduction inevitable. L'etude leur
donnait toutes les occasions de se voir librement, et le pretexte de la
lecon leur permettait d'etre seuls. Alors les livres restaient ouverts
devant eux; mais ou de longs silences interrompaient la lecture, ou
|