nos coeurs
vers le Dieu de misericorde; et, en lui rendant graces de la nourriture
que nous venons de prendre, supplions-le de nous accorder la delivrance
de ce noble enfant, objet de toutes nos sollicitudes."
On se leva pour reciter _les graces_, et chacun resta debout pendant
quelques minutes, occupe a prier interieurement pour le dernier des
Rudolstadt. Le vieux Christian y mit tant de ferveur, que deux grosses
larmes coulerent sur ses joues fletries.
Le vieillard venait de donner a ses fideles serviteurs l'ordre
d'emporter son fils dans son appartement, lorsque le baron Frederick,
ayant cherche naivement dans sa cervelle par quel acte de devouement il
pourrait contribuer au bien-etre de son cher neveu, dit a son aine d'un
air de satisfaction enfantine: "Il me vient une bonne idee, frere. Si
ton fils se reveille dans la solitude de son appartement, au milieu de
sa digestion, il peut lui venir encore quelques idees noires, par suite
de quelques mauvais reves. Fais-le transporter dans le salon, et qu'on
l'asseye sur mon grand fauteuil. C'est le meilleur de la maison pour
dormir. Il y sera mieux que dans son lit; et quand il se reveillera, il
trouvera du moins un bon feu pour egayer ses regards, et des figures
amies pour rejouir son coeur.
--Vous avez raison, mon frere, repondit Christian: on peut en effet le
transporter au salon, et le coucher sur le grand sofa.
--Il est tres-pernicieux de dormir etendu apres souper, s'ecria le
baron. Croyez-moi, frere, je sais cela par experience. Il faut lui
donner mon fauteuil. Oui, je veux absolument qu'il ait mon fauteuil."
Christian comprit que refuser l'offre de son frere serait lui faire un
veritable chagrin. On installa donc le jeune comte dans le fauteuil de
cuir du vieux chasseur, sans qu'il s'apercut en aucune facon du
derangement, tant son sommeil etait voisin de l'etat lethargique. Le
baron s'assit tout joyeux et tout fier sur un autre siege, se chauffant
les tibias devant un feu digne des temps antiques, et souriant d'un air
de triomphe chaque fois que le chapelain faisait la remarque que ce
sommeil du comte Albert devait avoir un heureux resultat. Le bonhomme se
promettait de sacrifier sa sieste aussi bien que son fauteuil, et de
s'associer au reste de sa famille pour veiller sur le jeune comte; mais,
au bout d'un quart d'heure, il s'habitua si bien a son nouveau siege,
qu'il se mit a ronfler sur un ton a couvrir les derniers grondements du
tonnerre, qui se p
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