le comte Christian a sa soeur
alarmee; voila bien les femmes!
"--Mais il existait, dit-elle, et maintenant il a l'air d'un habitant de
l'autre monde, qui ne prend aucune part aux affaires de celui-ci.
"--C'est le caractere constant de monsieur le comte, repondit l'abbe;
c'est un homme concentre, qui ne fait part a personne de ses
impressions, et qui, si je dois dire toute ma pensee, ne s'impressionne
de presque rien d'exterieur. C'est le fait des personnes froides,
sensees, reflechies. Il est ainsi fait, et je crois qu'en cherchant a
l'exciter, on ne ferait que porter le trouble dans cette ame ennemie de
l'action et de toute initiative dangereuse.
--Oh! je fais serment que ce n'est pas la son vrai caractere! s'ecria la
chanoinesse.
--Madame la chanoinesse reviendra des preventions qu'elle se forme
contre un si rare avantage.
--En effet, ma soeur, dit le comte, je trouve que monsieur l'abbe parle
fort sagement. N'a-t-il pas obtenu par ses soins et sa condescendance le
resultat que nous avons tant desire? N'a-t-il pas detourne les malheurs
que nous redoutions? Albert s'annoncait comme un prodigue, un
enthousiaste, un temeraire. Il nous revient tel qu'il doit etre pour
meriter l'estime, la confiance et la consideration de ses semblables.
--Mais efface comme un vieux livre, dit la chanoinesse, ou peut-etre
raidi contre toutes choses, et dedaigneux de tout ce qui ne repond pas a
ses secrets instincts. Il ne semble point heureux de nous revoir, nous
qui l'attendions avec tant d'impatience!
--Monsieur le comte etait impatient lui-meme de revenir, reprit l'abbe;
je le voyais, bien qu'il ne le manifestat pas ouvertement. Il est si peu
demonstratif! La nature l'a fait recueilli.
--La nature l'a fait demonstratif, au contraire, repliqua-t-elle
vivement. Il etait quelquefois violent, et quelquefois tendre a l'exces.
Il me fachait souvent, mais il se jetait dans mes bras, et j'etais
desarmee.
"--Avec moi, dit l'abbe, il n'a jamais eu rien a reparer.
"--Croyez-moi, ma soeur, c'est beaucoup mieux ainsi, dit mon oncle....
"--Helas! dit la chanoinesse, il aura donc toujours ce visage qui me
consterne et me serre le coeur?
--C'est un visage noble et fier qui sied a un homme de son rang,
repondit l'abbe.
"--C'est un visage de pierre! s'ecria la chanoinesse. Il me semble que
je vois ma mere, non pas telle que je l'ai connue, sensible et
bienveillante, mais telle qu'elle est peinte, immobile et glacee dans
son
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