il repondait
d'un air de resignation qu'il obeirait aux volontes de ses parents, mais
qu'il n'avait pour lui-meme aucun besoin de luxe ou de gloire. Apres
tout, ce naturel indolent n'etait que la repetition exageree de celui de
son pere, cet homme calme dont la patience est voisine de l'apathie, et
chez qui la modestie est une sorte d'abnegation. Ce qui donne a mon
oncle une physionomie que son fils n'a pas, c'est un sentiment
energique, quoique depourvu d'emphase et d'orgueil, du devoir social.
Albert semblait desormais comprendre les devoirs de la famille; mais les
devoirs publics, tels que nous les concevons, ne paraissaient pas
l'occuper plus qu'aux jours de son enfance. Son pere et le mien avaient
suivi la carriere des armes sous Montecuculli contre Turenne. Ils
avaient porte dans la guerre une sorte de sentiment religieux inspire
par la majeste imperiale. C'etait le devoir de leur temps d'obeir et de
croire aveuglement a des maitres. Ce temps-ci, plus eclaire, depouille
les souverains de l'aureole, et la jeunesse se permet de ne pas croire a
la couronne plus qu'a la tiare. Lorsque mon oncle essayait de ranimer
dans son fils l'antique ardeur chevaleresque, il voyait bien que ses
discours n'avaient aucun sens pour ce raisonneur dedaigneux.
"Puisqu'il en est ainsi, se dirent mon oncle et ma tante, ne le
contrarions pas. Ne compromettons pas cette guerison assez triste qui
nous a rendu un homme eteint a la place d'un homme exaspere. Laissons-le
vivre paisiblement a sa guise, et qu'il soit un philosophe studieux,
comme l'ont ete plusieurs de ses ancetres, ou un chasseur passionne
contre notre frere Frederick, ou un seigneur juste et bienfaisant comme
nous nous efforcons de l'etre. Qu'il mene des a present la vie
tranquille et inoffensive des vieillards: ce sera le premier des
Rudolstadt qui n'aura point eu de jeunesse. Mais comme il ne faut pas
qu'il soit le dernier de sa race, hatons-nous de le marier, afin que les
heritiers de notre nom effacent cette lacune dans l'eclat de nos
destinees. Qui sait? peut-etre le genereux sang de ses aieux se
repose-t-il en lui par l'ordre de la Providence, afin de se ranimer plus
bouillant et plus fier dans les veines de ses descendants.
"Et il fut decide qu'on parlerait mariage a mon cousin Albert.
"On lui en parla doucement d'abord; et comme on le trouvait aussi peu
dispose a ce parti qu'a tous les autres, on lui en parla serieusement et
vivement. Il objecta sa timidite, sa ga
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