irent qu'il etait en chemin de
dissiper tout son patrimoine en peu d'annees, et de se faire jeter en
prison comme rebelle a la Sainte-Eglise et au Saint-Empire, ils prirent
enfin, avec douleur, le parti de le faire voyager, esperant qu'a force
de voir les hommes et leurs lois fondamentales, a peu pres les memes
dans tout le monde civilise, il s'habituerait a vivre comme eux et avec
eux. Ils le confierent donc a un gouverneur, fin jesuite, homme du monde
et homme d'esprit s'il en fut, qui comprit son role a demi-mot, et se
chargea, dans sa conscience, de prendre sur lui tout ce qu'on n'osait
pas lui demander. Pour parler clair, il s'agissait de corrompre et
d'emousser cette ame farouche, de la faconner au joug social, en lui
infusant goutte a goutte les poisons si doux et si necessaires de
l'ambition, de la vanite, de l'indifference religieuse, politique et
morale.--Ne froncez pas ainsi le sourcil en m'ecoutant, chere Porporina.
Mon digne oncle est un homme simple et bon, qui des sa jeunesse, a
accepte toutes ces choses, telles qu'on les lui a donnees, et qui a su,
dans tout le cours de sa vie, concilier, sans hypocrisie et sans examen,
la tolerance et la religion, les devoirs du chretien et ceux du grand
seigneur. Dans un monde et dans un siecle ou l'on trouve un homme comme
Albert sur des millions comme nous autres, celui qui marche avec le
siecle et le monde est sage, et celui qui veut remonter de deux mille
ans dans le passe est un fou qui scandalise ses pareils et ne convertit
personne.
"Albert a voyage pendant huit ans. Il a vu l'Italie, la France,
l'Angleterre, la Prusse, la Pologne, la Russie, les Turcs meme; il est
revenu par la Hongrie, l'Allemagne meridionale et la Baviere. Il s'est
conduit sagement durant ces longues excursions, ne depensant point au
dela du revenu honorable que ses parents lui avaient assigne, leur
ecrivant des lettres fort douces et tres affectueuses, ou il ne parlait
jamais que des choses qui avaient frappe ses yeux, sans faire aucune
reflexion approfondie sur quoi que ce fut, et sans donner a l'abbe, son
gouverneur, aucun sujet de plainte ou d'ingratitude.
"Revenu ici au commencement de l'annee derniere, apres les premiers
embrassements, il se retira, dit-on, dans la chambre qu'avait habitee sa
mere, y resta enferme pendant plusieurs heures, et en sortit fort pale,
pour s'en aller promener seul sur la montagne.
"Pendant ce temps, l'abbe parla en confidence a la chanoinesse
Wenceslaw
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