loppee jusqu'a la sauvagerie chez Albert), il balbutia
un discours et beaucoup d'excuses qu'Amelie se chargea de comprendre et
de traduire a Consuelo.
"Mon pere vous demande, lui dit-elle, si vous vous sentez le courage de
vous remettre a la musique, apres un voyage aussi penible, et si ce ne
serait pas abuser de votre bonte que de vous prier d'entendre ma voix et
de juger ma methode.
--De tout mon coeur, repondit Consuelo en se levant avec vivacite et en
allant ouvrir le clavecin.
--Vous allez voir, lui dit tout bas Amelie en arrangeant son cahier sur
le pupitre, que ceci va mettre Albert en fuite malgre vos beaux yeux et
les miens."
En effet, Amelie avait a peine prelude pendant quelques minutes,
qu'Albert se leva, et sortit sur la pointe du pied comme un homme qui se
flatte d'etre inapercu.
"C'est beaucoup, dit Amelie en causant toujours a voix basse, tandis
qu'elle jouait a contre-mesure, qu'il n'ait pas jete les portes avec
fureur, comme cela lui arrive souvent quand je chante. Il est tout a
fait aimable, on peut meme dire galant aujourd'hui."
Le chapelain, s'imaginant masquer la sortie d'Albert, se rapprocha du
clavecin, et feignit d'ecouter avec attention. Le reste de la famille
fit a distance un demi-cercle pour attendre respectueusement le jugement
que Consuelo porterait sur son eleve.
Amelie choisit bravement un air de l'_Achille in Scyro_ de Pergolese, et
le chanta avec assurance d'un bout a l'autre, avec une voix fraiche et
percante, accompagnee d'un accent allemand si comique, que Consuelo,
n'ayant jamais rien entendu de pareil, se tint a quatre pour ne pas
sourire a chaque mot. Il ne lui fallut pas ecouter quatre mesures pour
se convaincre que la jeune baronne n'avait aucune notion vraie, aucune
intelligence de la musique. Elle avait le timbre flexible, et pouvait
avoir recu de bonnes lecons; mais son caractere etait trop leger pour
lui permettre d'etudier quoi que ce fut en conscience. Par la meme
raison, elle ne doutait pas de ses forces, et sabrait avec un sang-froid
germanique les traits les plus audacieux et les plus difficiles. Elle
les manquait tous sans se deconcerter, et croyait couvrir ses
maladresses en forcant l'intonation, et en frappant l'accompagnement
avec vigueur, retablissant la mesure comme elle pouvait, en ajoutant des
temps aux mesures qui suivaient celles ou elle en avait supprime, et
changeant le caractere de la musique a tel point que Consuelo eut eu
peine a reconnai
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