des milliers
d'infortunes n'ont que le ciel inclement et froid sur leurs tetes?
N'avons-nous pas chacun plus d'habits qu'il n'en faudrait pour vetir une
de ces familles couvertes de haillons? Ne vois-je point sur notre table,
chaque jour, plus de viandes et de bons vins de Hongrie qu'il n'en
faudrait pour rassasier et reconforter ces mendiants epuises de besoin
et de lassitude? Avons-nous le droit de refuser quelque chose tant que
nous avons au dela du necessaire? Et le necessaire meme, nous est-il
permis d'en user quand les autres ne l'ont pas? La loi du Christ
a-t-elle change?
"Que pouvaient repondre a de si belles paroles le comte, et la
chanoinesse, et le chapelain, qui avaient eleve ce jeune homme dans des
principes de religion si fervents et si austeres? Aussi se
trouvaient-ils bien embarrasses en le voyant prendre ainsi les choses au
pied de la lettre, et ne vouloir accepter aucune de ces transactions
avec le siecle, sur lesquelles repose pourtant, ce me semble, tout
l'edifice des societes.
"C'etait bien autre chose quand il s'agissait de politique. Albert
trouvait monstrueuses ces lois humaines qui autorisent les souverains a
faire tuer des millions d'hommes, et a ruiner des contrees immenses,
pour les caprices de leur orgueil et les interets de leur vanite. Son
intolerance sur ce point devenait dangereuse, et ses parents n'osaient
plus le mener a Vienne, ni a Prague, ni dans aucune grande ville, ou son
fanatisme de vertu leur eut fait de mauvaises affaires. Ils n'etaient
pas plus rassures a l'endroit de ses principes religieux; car il y
avait, dans sa piete exaltee, tout ce qu'il faut pour faire un heretique
a pendre et a bruler. Il haissait les papes, ces apotres de Jesus-Christ
qui se liguent avec les rois contre le repos et la dignite des peuples.
Il blamait le luxe des eveques et l'esprit mondain des abbes, et
l'ambition de tous les hommes d'eglise. Il faisait au pauvre chapelain
des sermons renouveles de Luther et de Jean Huss; et cependant Albert
passait des heures entieres prosterne sur le pave des chapelles, plonge
dans des meditations et des extases dignes d'un saint. Il observait les
jeunes et les abstinences bien au dela des prescriptions de l'Eglise; on
dit meme qu'il portait un cilice, et qu'il fallut toute l'autorite de
son pere et toute la tendresse de sa tante pour le faire renoncer a ces
macerations qui ne contribuaient pas peu a exalter sa pauvre tete.
"Quand ces bons et sages parents v
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