de leurs ossements et de ceux de leurs ennemis. Ces
affreux Hussites furent longtemps invincibles; aujourd'hui nous ne
prononcons leur nom qu'avec effroi: et cependant leur patriotisme, leur
constance intrepide et leurs exploits fabuleux laissent en nous un
secret sentiment d'admiration et d'orgueil que de jeunes esprits comme
le mien ont parfois de la peine a dissimuler.
--Et pourquoi dissimuler? demanda Consuelo naivement.
--C'est que la Boheme est retombee, apres bien des luttes, sous le joug
de l'esclavage; c'est qu'il n'y a plus de Boheme, ma pauvre Nina. Nos
maitres savaient bien que la liberte religieuse de notre pays, c'etait
sa liberte politique. Voila pourquoi ils ont etouffe l'une et l'autre.
--Voyez, reprit Consuelo, combien je suis ignorante! Je n'avais jamais
entendu parler de ces choses, et je ne savais pas que les hommes eussent
ete si malheureux et si mechants.
--Cent ans apres Jean Huss, un nouveau savant, un nouveau sectaire, un
pauvre moine, appele Martin Luther, vint reveiller l'esprit national, et
inspirer a la Boheme et a toutes les provinces independantes de
l'Allemagne la haine du joug etranger et la revolte contre les papes.
Les plus puissants rois demeurerent catholiques, non pas tant par amour
de la religion que par amour du pouvoir absolu. L'Autriche s'unit a nous
pour nous accabler, et une nouvelle guerre, appelee la guerre de trente
ans, vint ebranler et detruire notre nationalite. Des le commencement de
cette guerre, la Boheme fut la proie du plus fort; l'Autriche nous
traita en vaincus, nous ota notre foi, notre liberte, notre langue, et
jusqu'a notre nom. Nos peres resisterent courageusement, mais le joug
imperial s'est de plus en plus appesanti sur nous. Il y a cent vingt ans
que notre noblesse, ruinee et decimee par les exactions, les combats et
les supplices, a ete forcee de s'expatrier ou de se denationaliser, en
abjurant ses origines, en germanisant ses noms (faites attention a ceci)
et en renoncant a la liberte de ses croyances religieuses. On a brule
nos livres, on a detruit nos ecoles, on nous a faits Autrichiens en un
mot. Nous ne sommes plus qu'une province de l'Empire, et vous entendez
parler allemand dans un pays slave; c'est vous en dire assez.
--Et maintenant, vous souffrez de cet esclavage et vous en rougissez? Je
le comprends, et je hais deja l'Autriche de tout mon coeur.
--Oh! parlez plus bas! s'ecria la jeune baronne. Nul ne peut parler
ainsi sans danger, so
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