"--II est, disait-il, comme les savants qui s'abiment dans leurs
recherches, et qui oublient le monde entier pour satisfaire leur
innocente passion."
"La-dessus l'abbe partit, et ne revint pas."
"Au bout de sept jours d'angoisses mortelles, et comme nous commencions
a desesperer, ma tante, passant vers le soir devant la chambre d'Albert,
vit la porte ouverte, et Albert assis dans son fauteuil, caressant son
chien qui l'avait suivi dans son mysterieux voyage. Ses vetements
n'etaient ni salis ni dechires; seulement la dorure en etait noircie,
comme s'il fut sorti d'un lieu humide, ou comme s'il eut passe les nuits
a la belle etoile. Sa chaussure n'annoncait pas qu'il eut beaucoup
marche; mais sa barbe et ses cheveux temoignaient d'un long oubli des
soins de sa personne. Depuis ce jour-la, il a constamment refuse de se
raser et de se poudrer comme les autres hommes; c'est pourquoi vous lui
avez trouve l'aspect d'un revenant."
"Ma tante s'elanca vers lui en faisant un grand cri."
"--Qu'avez-vous donc, ma chere tante? dit-il en lui baisant la main. On
dirait que vous ne m'avez pas vu depuis un siecle!"
"--Mais, malheureux enfant! s'ecria-t-elle; il y a sept jours que tu
nous as quittes sans nous rien dire; sept mortels jours, sept affreuses
nuits, que nous te cherchons, que nous te pleurons, et que nous prions
pour toi!"
"--Sept jours? dit Albert en la regardant avec surprise. II faut que
vous ayez voulu dire sept heures, ma chere tante; car je suis sorti ce
matin pour me promener, et je rentre a temps pour souper avec vous.
Comment ai-je pu vous causer une pareille inquietude par une si courte
absence?"
"--Sans doute, dit-elle, craignant d'aggraver son mal en le lui
revelant, la langue m'a tourne; j'ai voulu dire sept heures. Je me suis
inquietee parce que tu n'as pas l'habitude de faire d'aussi longues
promenades, et puis j'avais fait cette nuit un mauvais reve: j'etais
folle."
"--Bonne tante, excellente amie! dit Albert en couvrant ses mains de
baisers, vous m'aimez comme un petit enfant. Mon pere n'a pas partage
votre inquietude, j'espere?"
"--Nullement. Il t'attend pour souper. Tu dois avoir bien faim?
"--Fort peu. J'ai tres-bien dine."
"--Ou donc, et quand donc, Albert?"
"--Ici, ce matin, avec vous, ma bonne tante. Vous n'etes pas encore
revenue a vous-meme, je le vois. Oh! que je suis malheureux de vous
avoir cause une telle frayeur! Comment aurais-je pu le prevoir?"
"--Tu sais que je
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