etes, et la nuit suivante dans la meme consternation.
Je ne puis vous dire quelle terreur j'eprouvai, moi qui n'avais jamais
souffert, jamais tremble de ma vie pour des evenements domestiques de
cette importance. Je crus tres-serieusement qu'Albert s'etait donne la
mort ou s'etait enfui pour jamais. J'en pris des convulsions et une
fievre assez forte. Il y avait encore en moi un reste d'amour, au milieu
de l'effroi que m'inspirait un etre si fatal et si bizarre. Mon pere
conservait la force d'aller a la chasse, s'imaginant que, dans ses
courses lointaines, il retrouverait Albert au fond des bois. Ma pauvre
tante, devoree de douleur, mais active et courageuse, me soignait, et
cherchait a rassurer tout le monde. Mon oncle priait jour et nuit. En
voyant sa foi et sa soumission stoique aux volontes du ciel, je
regrettais de n'etre pas devote.
"L'abbe feignait un peu de chagrin, mais affectait de n'avoir aucune
inquietude. Il est vrai, disait-il, qu'Albert n'avait jamais disparu
ainsi de sa presence; mais il etait sujet a des besoins de solitude et
de recueillement.
Sa conclusion etait que le seul remede a ces singularites etait de ne
jamais les contrarier, et de ne pas paraitre les remarquer beaucoup. Le
fait est que ce subalterne intrigant et profondement egoiste ne s'etait
soucie que de gagner les larges appointements attaches a son role
surveillant, et qu'il les avait fait durer le plus longtemps possible en
trompant la famille sur le resultat de ses bons offices. Occupe de ses
affaires et de ses plaisirs, il avait abandonne Albert a ses penchants
extremes. Peut-etre l'avait-il vu souvent malade et souvent exalte. Il
avait sans doute laisse un libre cours a ses fantaisies. Ce qu'il y a de
certain, c'est qu'il avait eu l'habilete de les cacher a tous ceux qui
eussent pu nous en rendre compte; car dans toutes les lettres que recut
mon oncle au sujet de son fils, il n'y eut jamais que des eloges de son
exterieur et des felicitations sur les avantages de sa personne. Albert
n'a laisse nulle part la reputation d'un malade ou d'un insense. Quoi
qu'il en soit, sa vie interieure durant ces huit ans d'absence est
restee pour nous un secret impenetrable. L'abbe, voyant, au bout de
trois jours, qu'il ne reparaissait pas, et craignant que ses propres
affaires ne fussent gatees par cet incident, se mit en campagne,
soi-disant pour le chercher a Prague, ou l'envie de chercher quelque
livre rare pouvait, selon lui, l'avoir pousse."
|