es deux enormes verrous de la porte, se jeta sur son
lit, ou elle ne tarda pas a rever qu'elle mourait de peur.
Cependant, l'horreur de cette nuit d'hiver avait augmente. Parfois, avec
les tourbillons du fleuve, le vent s'engouffrait sous les pilotis, et la
maison frissonnait tout entiere; mais la jeune fille, absorbee par sa
tristesse, ne songeait qu'a son pere. Depuis les paroles d'Aubert Thuen,
la maladie de maitre Zacharius avait pris a ses yeux des proportions
fantastiques, et il lui semblait que cette chere existence, devenue
purement mecanique, ne se mouvait plus qu'avec effort sur ses pivots
uses.
Soudain l'abat-vent, violemment pousse parla rafale, heurta la fenetre
de la chambre. Gerande tressaillit et se leva brusquement, sans
comprendre la cause de ce bruit qui secoua sa torpeur. Des que son
emotion se fut calmee, elle ouvrit le chassis. Les nuages avaient creve,
et une pluie torrentielle crepitait sur les toitures environnantes. La
jeune fille se pencha au dehors pour attirer le volet ballotte par le
vent, mais elle eut peur. Il lui parut que la pluie et le fleuve,
confondant leurs eaux tumultueuses, submergeaient cette fragile maison
dont les ais craquaient de toutes parts. Elle voulut fuir sa chambre;
mais elle apercut au-dessous d'elle la reverberation d'une lumiere qui
devait venir du reduit de maitre Zacharius, et dans un de ces calmes
momentanes pendant lesquels se taisent les elements, son oreille fut
frappee par des sons plaintifs. Elle tenta de refermer sa fenetre et ne
put y parvenir. Le vent la repoussait avec violence, comme un malfaiteur
qui s'introduit dans une habitation.
Gerande pensa devenir folle de terreur! Que faisait donc son pere? Elle
ouvrit la porte, qui lui echappa des mains et battit bruyamment sous
l'effort de la tempete. Gerande se trouva alors dans la salle obscure du
souper, parvint, en tatonnant, a gagner l'escalier qui aboutissait a
l'atelier de maitre Zacharius, et s'y laissa glisser, pale et mourante.
Le vieil horloger etait debout au milieu de cette chambre que
remplissaient les mugissements du fleuve Ses cheveux herisses lui
donnaient un aspect sinistre. Il parlait, il gesticulait, sans voir,
sans entendre! Gerande demeura sur le seuil.
"C'est la mort! disait maitre Zacharius d'une voix sourde, c'est la
mort!... Que me reste-t-il a vivre, maintenant que j'ai disperse mon
existence par le monde! car moi, maitre Zacharius, je suis bien le
createur de toutes ces mo
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