a beaucoup plus de cent mille
hommes. Mais Suwarow, ayant ordre d'assieger a la fois Peschiera,
Mantoue, Pizzighitone, voulant en meme temps se garder du cote de la
Suisse, et ignorant d'ailleurs l'art de distribuer des masses, n'avait
guere plus de quarante mille hommes sous sa main, force du reste tres
suffisante pour accabler Moreau, s'il avait su la manier habilement.
Il vint longer le Po et le Tanaro, et se placer en face de Moreau. Il
s'etablit a Tortone, et y fixa son quartier-general. Apres quelques
jours d'inaction, il resolut enfin de faire une tentative sur l'aile
gauche de Moreau, c'est-a-dire du cote du Po. Un peu au-dessus du
confluent du Po et du Tanaro, vis-a-vis Mugarone, se trouvent des iles
boisees, a la faveur desquelles les Russes resolurent de tenter un
passage. Dans la nuit du 22 au 23 floreal (du 11 au 12 mai), ils
passerent au nombre a peu pres de deux mille, dans l'une de ces iles, et
se trouverent ainsi au-dela du bras principal. Le bras qui leur restait
a passer etait peu considerable, et pouvait meme etre franchi a la nage.
Ils le traverserent hardiment, et se porterent sur la rive droite du Po.
Les Francais, prevenus du danger, coururent sur le point menace. Moreau,
qui etait averti d'autres demonstrations faites du cote du Tanaro,
attendit que le veritable point du danger fut bien determine pour s'y
porter en force: des qu'il en fut certain, il y marcha avec sa reserve,
et culbuta dans le Po les Russes qui avaient eu la hardiesse de le
franchir. Il y en eut deux mille cinq cents tues, noyes ou prisonniers.
Ce coup de vigueur assurait tout a fait la position de Moreau dans le
singulier triangle ou il s'etait place. Mais l'inaction de l'ennemi
l'inquietait; il craignait que Suwarow n'eut laisse devant Alexandrie un
simple detachement, et qu'avec la masse de ses forces il n'eut remonte
le Po, pour se porter sur Turin et prendre la position des Francais
par derriere, ou bien qu'il n'eut marche au-devant de Macdonald. Dans
l'incertitude ou le laissait l'inaction de Suwarow, il resolut d'agir
lui-meme, pour s'assurer du veritable etat des choses. Il imagina de
deboucher au-dela d'Alexandrie, et de faire une forte reconnaissance.
Si l'ennemi n'avait laisse devant lui qu'un corps detache, le projet
de Moreau etait de changer cette reconnaissance en attaque serieuse,
d'accabler ce corps detache, et puis de se retirer tranquillement par
la grande route de la Bochetta, vers les montagnes de Genes,
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