e, il se refugie au sein de la nature, comme en un temple
majestueux ou il respire et se deploie plus a l'aise; il la voit peu et
sait peu la retracer sous les couleurs aimables et fraiches dont elle
se peint autour de lui; il prefere la contempler face a face dans ses
soleils, ses volcans, ses tremblements de terre, ses cometes echevelees,
et plonge avec Buffon a travers les deserts des temps. Quant a la
liberte, elle eut toujours ses voeux, soit que dans les salons de
l'hotel de Conti, sous Louis XV, il s'ecrie avec une douleur de citoyen:
Les Antenors vendent l'empire,
Thais l'achete d'un sourire;
L'or paie, absout les attentats.
Partout, a la cour, a l'armee,
Regne un dedain de renommee
Qui fait la chute des Etats;
soit qu'il prelude a ses hymnes republicains dans les soirees du
ministere Calonne; soit meme qu'en des temps horribles, auxquels ses
chants furent trop meles[38], et dont il n'eut pas le courage de se
separer hautement, il exhale dans le silence cette ode touchante, dont
le debut, imite d'un psaume, ressemble a quelque chanson de Beranger:
Prends les ailes de la colombe,
Prends, disais-je a mon ame, et fuis dans les deserts[39].
[Foonote 38: Il y a de vilains vers de lui sur Marie-Antoinette; on ne
les a pas compris dans ses oeuvres. Ils parurent en brochure vers l'an
III; on y lit:
Oh! que Vienne aux Francais fit un present funeste!
Toi qui de la Discorde allumas le flambeau,
Reine que nous donna la colere celeste,
Que la foudre n'a-t-elle embrase ton berceau!
Les suivants, pires encore, sont trop atroces pour que je les
transcrive. Le jour ou le roi lui avait accorde une pension, il avait
pourtant fait un quatrain de remerciment qui finissait ainsi:
Larmes, que n'avait pu m'arracher le malheur,
Coulez pour la reconnaissance!
Une strophe de lui preluda a la violation des tombes de Saint-Denis et
sembla directement la provoquer.
Purgeons le sol des patriotes,
Par les rois encore infecte:
La terre de la liberte
Rejette les os des despotes.
De ces monstres divinises
_Que tous les cercueils soient brises!_
Que leur memoire soit fletrie!
Et qu'avec leurs manes errants
Sortent du sein de la patrie
_Les cadavres de ces tyrans!_
Tandis que Le Brun ecrivait ces horreurs en 93, David ne craignait pas
de peindre Marat. Ces _Rois de la lyre et du savant pinceau_, qu'avait
chantes Andre Chenier, etaient tous deux apostats de cette amitie
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