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l'epicier. Je garnis ma fenetre d'un epais rideau, dans lequel je pratiquai des fentes habilement menagees. Je passais la en extase toutes les heures que je pouvais derober a mon travail. La rue etait deserte et silencieuse. Cora etait assise a sa fenetre au rez-de-chaussee. Elle lisait. Que lisait-elle? Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle posait son livre sur un vase de giroflee jaune qui brillait a la fenetre. Et la tete penche sur sa main, les boucles de ses beaux cheveux nonchalamment melees aux fleurs d'or et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le pave et contempler, a travers la croute epaisse de ce sol grossier, les mysteres de la tombe et de la reproduction des essences fecondantes, assister a la naissance de la fee aux Roses, et encourager le germe d'un beau genie aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe. Et moi je la regardais, j'etais heureux. Je me gardais bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau, au moindre bruit de ma fenetre, elle disparaissait comme un songe. Elle s'evanouissait comme une vapeur argentee dans le clair-obscur de l'arriere-boutique; je me tenais donc la, immobile, retenant mon souffle, imposant silence aux battements de mon coeur, quelquefois a genoux implorant ma fee dans le silence, envoyant vers elle les brulantes aspirations d'une ame que son essence magique devait penetrer et entendre. Parfois je m'imaginais voir mon esprit et le sien voltiger enlaces dans un de ces rayons de poussiere d'or que le soleil de midi infiltrait dans la profondeur etroite et anguleuse dela rue. Je m'imaginais voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court sur la mousse, un trait brulant qui m'appelait tout entier dans son coeur. Je restai la tout le jour, egare, absurde, ridicule; mais exalte, mais amoureux, mais jeune! mais inonde de poesie et n'associant personne aux mysteres de ma pensee et ne sentant jamais mes elans entraves par la crainte de tomber dans le mauvais gout, n'ayant que Dieu pour juge et pour confident de mes reves et de mes extases. Puis, quand le jour finissait, quand la pale Cora fermait sa fenetre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le professeur Spallanzani avec Nathanael, dans les cieux avec Oberon. Mais, helas! ce bonheur ne fut pas de bien longue duree. Jusque-la personne n'avait decouvert la beaute de Cora; j'en jouissais tout seul.
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