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riche en emotions de tout genre, qu'il lui est possible de se torturer
elle-meme en depit de la force de l'espoir, de la poesie, de tous les
bienfaits dont l'a douee la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
ete plus sage que moi, et de n avoir pas permis qu'un amour bizarre
et presque imaginaire me conduisit au tombeau. Puis je me resignai et
j'acceptai la volonte de Dieu, qui rivait ma chaine et me condamnait
a jouir encore de la vue du ciel, de la beaute de la nature et de
l'affection de mes proches.
Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai de la fenetre avec
un inexprimable serrement de coeur. Cora etait la; elle lisait. Elle
etait toujours belle, toujours pale, toujours seule. J'eus un sentiment
de joie. Elle m'etait donc rendue, ma fee aux yeux verts; ma belle
reveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et nourrir en secret
cette passion extatique que le regard d'un rival m'avait force de
refouler si longtemps! Tout a coup elle releva sa tete brune, et ses
yeux, errant au hasard sur la muraille, apercurent ma face pale qui se
penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir comme a
l'ordinaire. Mais, o transport! elle ne s'enfuit point. Au contraire,
elle m'adressa un salut plein de politesse et de douceur, puis elle
reporta son attention sur son livre, et resta sous mes yeux absolument
indifferente a l'assiduite de mes regards; mais du moins elle resta.
Un homme plus experimente que moi eut prefere l'ancienne sauvagerie
de Cora a l'insouciance avec laquelle desormais elle bravait le
face-a-face. Mais pouvais-je resister au charme qu'elle venait de jeter
sur moi avec son salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce
qu'il peut entrer de chaste interet et de bienveillance reservee dans un
modeste salut de femme. C'etait la premiere marque de connaissance
que me donnait Cora. Mais avec quelle ingenieuse delicatesse elle
choisissait l'instant de me la donner! Combien il entrait de compassion
genereuse dans ce faible temoignage d'un interet timide et discret! Elle
n'osait point me demander si j'etais mieux. D'ailleurs elle le voyait,
et son salut valait tout un long discours de felicitations.
Je passai toute la nuit a commenter ce charmant salut, et le lendemain,
a l'heure ou Cora reparut, je me hasardai a risquer le premier
temoignage de notre intelligence naissante. Oui, j'eus l'audace de la
saluer profondement; mais je fus si bouleverse de ce que j'osais fai
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