ous voila,
personne ne pensera que vous songiez a supplanter un mari jeune et bien
portant.... L'epicier termina sa phrase par un gros rire. Je devins pale
comme la mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.
--Tenez, tenez, ne vous fachez pas d'une plaisanterie, mon cher voisin,
reprit-il: vous ne serez pas toujours convalescent, et bientot peut-etre
les peres et les maris vous surveilleront de plus pres.... En attendant,
restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je crois qu'elle
a quelque chose a vous dire.
--A moi? m'ecriai-je en regardant Cora.
--Oui, oui, reprit le pere, c'est une petite affaire
delicate...voyez-vous, et qu'une jeune femme entendra mieux qu'un vieux
bonhomme. Allons, au revoir, monsieur Georges.
Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et cette fois elle
avait une _affaire delicate_ a traiter avec moi: elle allait me confier
un secret peut-etre, une peine de son coeur, un malheur de sa destinee:
ah! sans doute, il y avait un grand et profond mystere dans la vie de
cette fille si melancolique et si belle! son existence ne pouvait pas
etre arrangee comme celle des autres. Le ciel ne lui avait pas departi
une si miraculeuse beaute sans la lui faire expier par des tresors de
douleur. Enfin, me disais-je, elle va les epancher dans mon sein, et je
pourrai peut-etre en prendre une partie pour la soulager!
Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla dans la poche de
son tablier de taffetas noir et en tira un papier plie.
--En verite, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de chose: je ne sais
pourquoi mon pere me charge de vous le dire; il devrait savoir qu'un
homme d'esprit comme vous ne s'offense pas d'une demande toute
naturelle.... Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas
embarrassee, mais....
--Achevez, au nom du ciel, m'ecriai-je avec ferveur; o Cora! si vous
connaissiez mon coeur, vous n'hesiteriez pas un instant a m'ouvrir le
votre.
--Eh bien, Monsieur, dit Cora emue, voici ce dont il s'agit. Elle deplia
le papier et me le presenta. J'y jetai les yeux, mais ma vue etait
troublee, ma main tremblante, il me fallut prendre haleine un instant
avant de comprendre. Enfin je lus: "Doit M. Georges a M***, epicier
droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa maladie....
12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.
Savon fourni a sa garde-malade, ci-contre.
Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .
Centauree febrifuge, et
|