en de s'abuser sur
cette bienveillance envers la personne et sur ce blame envers l'artiste.
Anzoleto dechira son costume en rentrant dans sa loge, et, a peine la
piece finie, il courut s'enfermer avec la Corilla, en proie a une rage
profonde et determine a fuir avec elle au bout de la terre.
Trois jours s'ecoulerent sans qu'il revit Consuelo. Elle lui inspirait
non pas de la haine, non pas du refroidissement (au fond de son ame
bourrelee de remords, il la cherissait toujours et souffrait
mortellement de ne pas la voir), mais une veritable terreur. Il sentait
la domination de cet etre qui l'ecrasait en public de toute sa grandeur,
et qui en secret reprenait a son gre possession de sa confiance et de sa
volonte. Dans son agitation il n'eut pas la force de cacher a la Corilla
combien il etait attache a sa noble fiancee, et combien elle avait
encore d'empire sur ses convictions. La Corilla en concut un depit amer,
qu'elle eut la force de dissimuler. Elle le plaignit, le confessa; et
quand elle sut le secret de sa jalousie, elle frappa un grand coup en
faisant savoir sous main a Zustiniani sa propre intimite avec Anzoleto,
pensant bien que le comte ne perdrait pas une si belle occasion d'en
instruire l'objet de ses desirs, et de rendre a Anzoleto le retour
impossible.
Surprise de voir un jour entier s'ecouler dans la solitude de sa
mansarde, Consuelo s'inquieta; et le lendemain d'un nouveau jour
d'attente vaine et d'angoisse mortelle, a la nuit tombante, elle
s'enveloppa d'une mante epaisse (car la cantatrice celebre n'etait plus
garantie par son obscurite contre les mechants propos), et courut a la
maison qu'occupait Anzoleto depuis quelques semaines, logement plus
convenable que les precedents, et que le comte lui avait assigne dans
une des nombreuses maisons qu'il possedait dans la ville. Elle ne l'y
trouva point, et apprit qu'il y passait rarement la nuit.
Cette circonstance ne l'eclaira pas sur son infidelite. Elle connaissait
ses habitudes de vagabondage poetique, et pensa que, ne pouvant
s'habituer a ces somptueuses demeures, il retournait a quelqu'un de ses
anciens gites. Elle allait se hasarder a l'y chercher, lorsqu'en se
retournant pour repasser la porte, elle se trouva face a face avec
maitre Porpora.
"Consuelo, lui dit-il a voix basse, il est inutile de me cacher tes
traits; je viens d'entendre ta voix, et ne puis m'y meprendre. Que
viens-tu faire ici, a cette heure, ma pauvre enfant, et que cherches-tu
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