eur. Chaque jour, je m'evertuais a
trouver de nouveaux plats qui pussent satisfaire leurs gouts, car, en
depit de tous mes efforts, je voyais la sante d'Angeline faiblir d'un
jour a l'autre malgre tous les soins que nous prenions d'elle. Pourtant
elle parut se ranimer pendant quelque temps. Bien que plongee dans une
affreuse tristesse dont je ne pouvais la tirer, j'avais reussi a lui
faire prendre un peu d'exercice. La vieille indienne l'entourait de
toute espece de prevenances et me secondait dans ce que j'essayais pour
la distraire. Je lui avais dit tout ce que j'avais cache a Angeline
et par un accord tacite, jamais allusion n'avait ete faite aux jours
passes.
Ainsi s'ecoulerent six mois non pas de bonheur, mais au moins de paix et
de tranquillite; chacun devorant sa peine en silence.
Mais un jour arriva ou, entraine par le desir incessant de chasser,
je m'eloignai de la demeure pour m'enfoncer dans les bois. Lorsque je
revins, la desolation etait a son comble. Angeline, comme a l'ordinaire,
avait ete faire une promenade, elle avait rencontre dans sa course
une de ces commeres obsequieuses qui ont toujours la bouche pleine de
nouvelles. Elle lui avait raconte dans tous ses details le supplice
qu'un sauvage avait endure aux Trois-Rivieres. elle lui avait rapporte
toutes les atroces calomnies qui avaient pesees sur lui et auxquelles
elle-meme ajoutait foi. Elle tenait, disait-elle, tous ces details d'un
sien cousin qui etait parti des Trois-Rivieres la veille de l'execution
et qui les tenaient lui-meme de trois sauvages qui avaient vu commettre
le meurtre pour lequel l'indien avait ete execute. Il avait ajoute de
plus que ces trois hommes erraient dans les bois d'alentour.
Ce coup devait etre le dernier qui allait frapper Angeline. Nous la
mimes au lit le soir avec une fievre considerable et dans un etat de
delire complet. La Providence dans ses decrets avait decide qu'elle n'en
sortirait plus vivante.
Je glisse rapidement sur ces evenements parce que je sens mon etre se
dechirer a chacune des peripeties que j'aurais a raconter dans les
differentes phases de sa maladie. Lorsqu'un des derniers jours de mai,
le bon medecin de campagne vint me presser la main, qu'il m'invita a le
reconduire jusqu'au bout de l'avenue, je sentis, a l'emotion de sa voix,
que je n'avais plus rien a esperer des secours des hommes. Il m'annonca
donc que mon enfant bien aimee n'avait plus que peu de jours a
appartenir a la terre. Sa cons
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