ait a son gre
l'explosion, mais qui s'exhalait tot ou tard en paroles nettes et
significatives. On eut pu dire que la vie de l'un s'alimentait par ses
manifestations puissantes, tandis que celle de l'autre s'epuisait en
emotions refoulees.
M. Cardonnet savait fort bien que son fils n'etait pas facile a persuader,
et que l'intimider par la violence ou la menace etait impossible. Il
s'etait trop souvent heurte a ce caractere energique, il avait trop eprouve
sa force de resistance, quoique ce n'eut ete jusqu'alors que dans les
petites occasions offertes au jeune age, pour ne pas savoir qu'il fallait
avant tout lui inspirer un respect fonde. Il ne commettait donc guere de
fautes en sa presence, et s'observait, au contraire, avec un soin extreme.
"Eh bien, mon pere, etes-vous donc fache de ce qui arrive d'heureux a ce
pauvre Jean? dit Emile, et me blamez-vous d'avoir couru au-devant des
bonnes intentions de son sauveur? Je me suis fait fort de votre concours,
et il faudra bien que ce mefiant charpentier apprenne a vous connaitre, a
vous respecter, et meme a vous aimer.
--Tout cela, dit M. Cardonnet, ce sont des paroles. Il faut de suite ecrire
pour lui. Mon secretaire est occupe, mais je presume que tu voudras bien
prendre quelquefois sa place dans les occasions delicates.
--Oh! de tout mon coeur, s'ecria Emile.
--Ecris donc, je vais te dicter."
Et M. Cardonnet redigea plusieurs lettres remplies de zele, de sollicitude
pour le delinquant, et tournees avec un rare esprit de convenance et de
dignite. Il allait jusqu'a offrir aussi sa caution pour Jean Jappeloup, au
cas, chose impossible pourtant, disait-il, ou M. de Boisguilbault, qui
avait prevenu ses intentions, se desisterait de sa parole. Quand ces
lettres furent signees et fermees, il dit a Emile de les faire partir de
suite par un expres, et il ajouta:
"Maintenant j'ai fait ta volonte; j'ai interrompu mes occupations pour que
ton protege n'eut pas a souffrir du moindre retard. Je retourne a mes
travaux. Nous dinerons dans une heure, et tu tiendras ensuite compagnie a
ta mere, que tu as un peu delaissee tout le jour. Mais ce soir, quand les
ouvriers auront fini leur tache, j'espere que tu seras tout a moi, et que
je pourrai t'entretenir de choses serieuses.
--Mon pere, je suis a vous ce soir et toute ma vie, vous le savez bien,"
dit Emile en l'embrassant.
M. Cardonnet s'applaudit de n'avoir pas cede a un premier mouvement
d'humeur; il venait de ressaisi
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