s depense follement d'une main ce que j'aurais
amasse de l'autre; et a quarante ans, epuise de fantaisies, a bout de genie
et de confiance, degoute de l'imbecillite ou de la perversite de tes
disciples, fou peut-etre, car c'est ainsi que finissent les ames sensibles
et romanesques, lorsqu'elles veulent appliquer leurs reves, tu me serais
revenu accable de ton impuissance, irrite contre l'humanite, et trop vieux
pour reprendre le bon chemin. Au lieu que, si tu m'ecoutes et me suis, nous
marcherons ensemble sur une route droite et sure, et avant qu'il soit dix
ans, nous aurons fait une fortune dont je n'ose te dire le chiffre, tu n'y
croirais pas.
--Admettons que ce ne soit pas un reve, aussi, mon pere, et peu m'importe
jusqu'a present; que ferons-nous de cette fortune?
--Tout ce que tu voudras, tout le bien que tu reveras alors; car je ne suis
pas inquiet pour la raison et la prudence, si tu laisses venir l'experience
de la vie, et murir paisiblement ta cervelle.
--Eh quoi! nous ferons le bien? oui, c'est de cela qu'il faut me parler,
mon pere, et je suis tout oreilles! Quel sera ce bonheur dont nous doterons
les hommes?
--Tu le demandes! Quel mystere divin cherches-tu donc ailleurs que dans les
choses humaines? Nous aurons procure a toute une province les bienfaits de
l'industrie! Et ne sommes-nous pas deja sur la voie? Le travail n'est-il
pas la source et l'aliment du travail? ne faisons-nous pas travailler deja
ici plus d'hommes en un jour que l'agriculture et les petites industries
barbares que je tends a supprimer n'en occupaient dans un mois? Leurs
salaires ne sont-ils pas augmentes? Ne sont-ils pas a meme d'acquerir
l'esprit d'ordre, la prevoyance, la sobriete, toutes les vertus qui leur
manquent? Ou donc sont cachees ces vertus, seul bonheur du pauvre? dans le
travail absorbant, dans la fatigue salutaire et dans le salaire
proportionne. Le bon ouvrier a l'esprit de famille, le respect de la
propriete, la soumission aux lois, l'economie, l'habitude et les tresors de
l'epargne. C'est l'oisivete de tous les mauvais raisonnements qu'elle
engendre qui le perdent. Occupez-le, ecrasez-le de besogne; il est robuste,
il le deviendra davantage; il ne revera plus le bouleversement de la
societe. Il mettra de la regle dans sa conduite, de la proprete dans sa
maison, il y apportera le bien-etre et la securite. Et s'il devient vieux
et infirme, quelque bonne volonte que vous ayez de le secourir, ce ne sera
plus necessai
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