, lui aussi, habiter une belle maison, respirer un air pur, se
nourrir d'aliments sains, se reposer apres la fatigue, et donner
l'education a ses enfants; que notre recompense ne soit pas dans le vain
luxe dont nous pouvons nous entourer, vous et moi, mais dans la joie
d'avoir fait des heureux, je comprendrai cette ambition et j'en serai
devore. Et alors, mon pere, mon bon pere, votre oeuvre sera benie.
"Cette paresse, cette apathie qui vous irritent et qui ne sont que le
resultat d'une lutte ou quelques-uns triomphent au detriment d'un grand
nombre qui succombe et se decourage, disparaitront d'elles memes par la
force des choses! Alors vous trouverez tant de zele et d'amour autour de
vous, que vous ne serez plus oblige de vous epuiser seul pour stimuler tous
les autres. Comment pourrait-il en etre autrement aujourd'hui, et de quoi
vous plaignez vous?
"Sous la loi de l'egoisme, chacun donne sa force et sa volonte en
proportion de ce qu'il en retire de profits. Belle merveille, que vous, qui
recueillez tout, vous soyez le seul ardent et assidu, tandis que le
salarie, qui ne recueillera chez vous qu'une aumone un peu plus liberale
qu'ailleurs, ne vous apporte qu'un peu plus de son zele.
"Vous augmentez le salaire, c'est beau sans doute, et, vous valez mieux que
la plupart de vos concurrents qui voudraient le diminuer; mais vous pouvez
decupler, centupler le zele, faire eclore comme par miracle le feu du
devouement, l'intelligence du coeur dans ces ames engourdies et affaissees,
et vous ne le voudriez pas!
"Et pourquoi donc, mon pere? Ce ne sont pas les jouissances du luxe que
vous aimez, puisque vous ne jouissez de rien, si ce n'est de l'ivresse de
vos projets et de vos conquetes. Eh bien, supprimez le benefice personnel:
vous n'en avez que faire, et moi j'y renonce avec transport. Soyons
seulement les depositaires et les gerants de la conquete commune. Cette
fortune revee, dont vous n'osez pas dire le chiffre, depassera tellement
vos previsions et vos esperances, que bientot vous aurez acquis de quoi
donner a vos travailleurs des jouissances morales, intellectuelles et
physiques, qui en feront des hommes nouveaux, des hommes complets, de vrais
hommes, enfin! car jusqu'ici je n'en vois nulle part. Tout equilibre est
rompu; je ne vois que des fourbes et des brutes, des tyrans et des serfs,
des aigles puissants et voraces, des passereaux stupides et poltrons
destines a leur servir de pature. Nous vivons suivant la loi
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