les bras
croises? Je deviendrais fou au bout de la premiere semaine."
--Ainsi, dit Emile qui pensait a la theorie de son pere sur le travail
incessant et la vieillesse sans repos, Jean n'eprouvera jamais le besoin
d'etre libre, quoiqu'il fasse tant de sacrifices a sa pretendue liberte.
--Mais, dit Gilberte un peu surprise, est-ce que la liberte et l'oisivete
sont la meme chose? Je ne crois pas. Jean aime passionnement le travail, et
toute sa liberte consiste a choisir celui qui lui plait; quand il travaille
pour satisfaire son gout et son invention naturelle, il ne le fait qu'avec
plus d'ardeur.
--Oui, Mademoiselle, vous avez raison! dit Emile avec une melancolie
soudaine, et tout est la. L'homme est ne pour travailler toujours, mais
conformement a ses aptitudes, et dans la mesure du plaisir qu'il y trouve!
Ah! que ne suis-je un habile charpentier! avec quelle joie n'irais je pas
travailler avec Jean Jappeloup, et au profit d'un homme si sage et si
desinteresse!
--Eh bien, Monsieur, dit Janille qui rentrait, portant avec pretention son
amphore de gres sur la tete, pour se donner un air robuste, voila que vous
dites comme M. Antoine. Ne voulait-il pas, ce matin, partir pour Gargilesse
avec Jean, afin de travailler avec lui a la journee, comme autrefois?
Pauvre cher homme! son bon coeur l'emportait jusque-la.
"--Tu m'as fait gagner ma vie assez longtemps, disait-il; je veux t'aider a
gagner la tienne. Tu ne veux pas partager ma table et ma maison: recois au
moins le prix de mon travail, puisque ce sera du superflu pour moi."
"Et M. Antoine le ferait comme il le dit. A son age et avec son rang il
irait encore cogner comme un sourd sur ces grandes pieces de bois!
--Et pourquoi l'en as-tu empeche, mere Janille? dit Gilberte avec emotion.
Pourquoi Jean s'y est-il obstinement refuse? Mon pere ne s'en fut pas plus
mal porte, et ce serait conforme a tous les nobles mouvements de sa vie!
Ah! que ne puis-je, moi aussi, soulever une hache, et me faire l'apprenti
de l'homme qui a si longtemps nourri mon pere, tandis que, sans rien
comprendre a mon existence, j'apprenais a chanter et a dessiner pour vous
obeir! Ah! vraiment, les femmes ne sont bonnes a rien en ce monde!
--Comment, comment, les femmes ne sont bonnes a rien! s'ecria Janille: eh
bien, donc, partons toutes les deux, montons sur les toits, equarrissons
des poutres et enfoncons des chevilles. Vrai, je m'en tirerais encore mieux
que vous, toute vieille et pet
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