pas destinee, mais qu'il avait ete bien pres de recevoir, le jeune homme
perdit tout a fait contenance.
Gilberte etait si belle avec ses yeux encore humides de larmes et son rire
enfantin et frais, qu'il en eut comme un eblouissement, et ne se demanda
plus si c'etait le bon Antoine, les belles ruines ou la charmante Gilberte
qu'il s'etait tant hate de revoir.
"Eh bien, eh bien, dit Janille, vous nous avez fait quasi peur; mais soyez
le bienvenu, monsieur Emile, comme dit notre maitre; M. Antoine ne tardera
pas beaucoup a rentrer. En attendant, vous allez vous rafraichir; j'irai
tirer du vin a la cave."
Emile s'y opposa, et, la retenant par sa manche:
"Si vous allez a la cave, j'irai avec vous, dit-il, non pour boire votre
vin; mais pour voir ce caveau que vous m'avez dit si curieux, si profond et
si sombre.
--Vous n'irez pas maintenant, repondit Janille; il y fait trop froid et
vous avez trop chaud. Oui, vous avez chaud! vous etes rouge comme une
fraise. Vous allez vous reposer un brin, et puis, en attendant M. Antoine,
nous vous ferons voir les caveaux, les souterrains, et tout le chateau, que
vous n'avez pas encore bien examine, quoiqu'il en vaille la peine. Ah mais!
il y a des gens qui viennent de bien loin pour le voir; ca nous ennuie bien
un peu, et ma fille s'en va lire dans sa chambre tandis qu'ils sont la;
mais M. Antoine dit qu'on ne peut pas refuser l'entree, surtout a des
voyageurs qui ont fait beaucoup de chemin, et que, quand on est
proprietaire d'un endroit curieux et interessant, on n'a pas le droit
d'empecher les autres d'en jouir."
Janille pretait un peu a son maitre le raisonnement qu'elle lui avait mis
dans l'esprit et dans la bouche. Le fait est qu'elle retirait de
l'exhibition de ses ruines un certain pecule qu'elle employait, comme tout
ce qui lui appartenait, a augmenter secretement le bien-etre de la famille.
Emile, presse d'accepter un rafraichissement quelconque, consentit a
prendre un verre d'eau, et, comme Janille voulut courir elle-meme remplir
sa cruche a la fontaine, il resta seul avec mademoiselle de Chateaubrun.
XV.
L'ESCALIER.
Si un roue peut s'applaudir du hasard inespere qui lui procure un
tete--a-tete avec l'objet de ses entreprises, un jeune homme pur et
sincerement epris se trouve plutot confus, et presque effraye, lorsqu'une
telle bonne fortune lui arrive pour la premiere fois.
Il en fut ainsi d'Emile Cardonnet: le respect que lui inspirait
mademois
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