trument de travail s'arreta, et il reconnut la voix de Gilberte
qui disait:
"Eh bien, c'est vrai, Janille, je ne m'amuse pas les jours ou mon pere est
absent. Si je n'etais pas avec toi, je m'ennuierais peut-etre tout a fait.
--Travaille, ma fille, travaille, repondit Janille: c'est le moyen de ne
jamais s'ennuyer.
--Mais je travaille et je ne m'amuse pourtant pas. Je sais bien qu'il n'y a
pas de necessite a s'amuser; mais moi, je m'amuse toujours, je suis
toujours prete a rire et a sauter, quand mon pere est avec nous. Conviens,
petite mere, que s'il nous fallait vivre longtemps separees de lui, nous
perdrions toute notre gaiete et tout notre bonheur! Oh! vivre sans mon
pere, ce serait impossible! j'aimerais autant mourir tout de suite.
--Eh bien, voila de jolies idees! reprit Janille; a quoi diantre allez-vous
penser, petite tete? Ton pere est encore jeune et bien portant, grace a
Dieu! d'ou te vient donc cette folie depuis deux ou trois jours?
--Comment, depuis deux ou trois jours?
--Mais oui, depuis trois ou quatre jours, meme! il t'est arrive plusieurs
fois de te tourmenter de ce que nous deviendrions si, ce qu'a Dieu ne
plaise, nous perdions ton bon pere.
--Si nous le perdions! s'ecria Gilberte. Oh! ne dis pas un mot pareil, cela
fait fremir; et je n'y ai jamais pense. Oh! non, je ne pourrais pas penser
a cela!
--En bien, ne voila-t-il pas que vous etes tout en larmes? Fi!
Mademoiselle! voulez-vous faire pleurer aussi votre mere Janille? oui-da,
M. Antoine serait content s'il vous voyait les yeux rouges en rentrant! Il
serait capable de pleurer aussi, le cher homme! Allons, tu n'as pas assez
promene aujourd'hui, mon enfant, serre ta laine, et allons faire manger nos
poules. Ca te distraira de voir les jolis perdreaux que ta petite Blanche a
couves."
Emile entendit un baiser maternel de Janille clore ce discours, et comme
ces deux femmes allaient le trouver a la porte, il s'eloigna et toussa un
peu pour les avertir de son arrivee.
"Ah! s'ecria Gilberte, quelqu'un dans la cour! Je me sens toute en joie, je
suis sure que c'est mon pere!"
Et elle s'elanca etourdiment a la rencontre d'Emile, si vite, qu'en se
trouvant avec lui sur le seuil de la porte elle faillit tomber dans ses
bras. Mais quelle que fut sa confusion en reconnaissant sa meprise, elle
fut moindre que le trouble d'Emile; car, dans sa candeur, elle en sortit
par un eclat de rire, tandis qu'a l'idee d'une accolade qui ne lui etait
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