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engourdis de bien-etre, ecoutaient cet ascete, cet homme d'un autre age,
pareil a quelque saint Jerome sorti du fond de sa thebaide pour venir,
en pleine assemblee du Bas-Empire, foudroyer de son eloquence indignee
le luxe effronte des prevaricateurs et des concussionnaires. Comme on
comprenait bien maintenant ce beau surnom de "Ma conscience" que lui
decernait le Palais, et ou il tenait tout entier avec sa grande taille
et ses gestes inflexibles. Dans les tribunes, l'enthousiasme s'exaltait
encore. De jolies tetes se penchaient pour le voir, pour boire sa
parole. Des approbations couraient, inclinant des bouquets de toutes
nuances comme le vent dans la floraison d'un champ de ble. Une voix de
femme criait d'un petit accent etranger: "Bravo... bravo..."
Et la mere?
Debout, immobile, recueillie dans son desir de comprendre quelque chose
a cette phraseologie de pretoire, a ces allusions mysterieuses, elle
etait la comme ces sourds-muets qui ne devinent ce qu'on dit devant
eux qu'au mouvement des levres, a l'accent des physionomies. Or il lui
suffisait de regarder son fils et Le Merquier pour comprendre quel mal
l'un faisait a l'autre, quelles intentions perfides, empoisonnees,
tombaient de ce long discours sur le malheureux qu'on aurait pu croire
endormi, sans le tremblement de ses fortes epaules et les crispations de
ses mains dans ses cheveux qu'elles fourrageaient furieusement tout
en lui cachant le visage. Oh! si de sa place elle avait pu lui crier:
"N'aie pas peur, mon fils. S'ils te meprisent tous, ta mere t'aime.
Viens-nous-en ensemble... Qu'est-ce que nous avons besoin d'eux?" Et un
moment elle put croire que ce qu'elle lui disait ainsi dans le fond de
son coeur arrivait jusqu'a lui par une intuition mysterieuse. Il venait
de se lever, de secouer sa tete crepue, congestionnee, ou la lippe
enfantine de ses levres grelottait sous une nervosite de larmes. Mais,
au lieu de quitter son banc, il s'y cramponnait au contraire, ses
grosses mains petrissant le bois du pupitre. L'autre avait fini,
maintenant c'etait son tour de repondre:
"Messieurs, dit-il..."
Il s'arreta aussitot, effraye par le son rauque, affreusement sourd et
vulgaire de sa voix, qu'il entendait pour la premiere fois en public.
Il lui fallut, dans cette halte tourmentee de mouvements de la face,
d'intonations cherchees et qui ne sortaient pas, reprendre la force de
sa defense. Et si l'angoisse de ce pauvre homme etait saisissante, la
vieille
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