ne veut reconnaitre le beau gentilhomme
qui est entre tout a l'heure, dans cette espece de poupee macabre, la
tete pendant au bord de la baignoire, un teint ou le fard etale se mele
au sang qui le delaie, tous les membres jetes dans une lassitude supreme
du role joue jusqu'au bout, jusqu'a tuer le comedien. Deux coups de
rasoir en travers du magnifique plastron inflexible, et toute sa majeste
factice s'est degonflee, s'est resolue dans cette horreur sans nom,
ce tas de boue, de sang, de chairs maquillees et cadaveriques ou git
meconnaissable l'homme de la tenue, le marquis Louis-Marie-Agenor de
Monpavon.
XXIII
MEMOIRES D'UN GARCON DE BUREAU.--DERNIERS FEUILLETS
Je consigne ici, a la hate et d'une plume bien agitee, les evenements
effroyables dont je suis le jouet depuis quelques jours. Cette fois,
c'en est fait de la _Territoriale_ et de tous mes songes ambitieux...
Protets, saisies, descentes de la police, tous nos livres chez le juge
d'instruction, le gouverneur en fuite, notre conseil Bois-l'Hery a
Mazas, notre conseil Monpavon disparu. Ma tete s'egare au milieu de ces
catastrophes... Et dire que, si j'avais suivi les avertissements de la
sage raison, je serais depuis six mois bien tranquille a Montbars en
train de cultiver ma petite vigne, sans autre souci que de voir les
grappes s'arrondir et se dorer au bon soleil bourguignon, et de ramasser
sur les ceps, apres l'ondee, ces petits escargots gris excellents en
fricassee. Avec le fruit de mes economies, je me serais fait batir
au bout du clos, sur la hauteur, a un endroit que je vois d'ici, un
belvedere en pierres seches comme celui de M. Chalmette, si commode pour
les siestes d'apres-midi, pendant que les cailles chantent tout
autour dans le vignoble. Mais non. Sans cesse egare par des illusions
decevantes, j'ai voulu m'enrichir, speculer, tenter les grands coups
de banque, enchainer ma fortune au char des triomphateurs du jour; et
maintenant me voila revenu aux plus tristes pages de mon histoire,
garcon de bureau d'un comptoir en deroute, charge de repondre a une
horde de creanciers, d'actionnaires ivres de fureur, qui accablent mes
cheveux blancs des pires outrages, voudraient me rendre responsable de
la ruine du Nabab et de la fuite du gouverneur. Comme si je n'etais pas
moi aussi cruellement frappe avec mes quatre ans d'arriere que je perds
encore une fois, et mes sept mille francs d'avances, tout ce que j'avais
confie a ce scelerat de Paganetti
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