pendant une minute sa serenite. Il lui avait trouve un air
de jeunesse, une flamme aux yeux, quelque chose de si piquant, qu'il
s'arreta pour la regarder. Grande et belle, sa longue robe de gaze
noire, deroulee, les epaules serrees dans une mantille de dentelle ou le
bouquet de son chapeau jetait une guirlande de feuillage d'automne,
elle s'eloignait, disparaissait au milieu d'autres femmes non moins
elegantes, dans une atmosphere embaumee; et la pensee que ses yeux
allaient se fermer pour toujours a ce joli spectacle qu'il savourait
en connaisseur, assombrit un peu l'ancien beau, ralentit l'elan de sa
marche. Mais quelques pas plus loin, une rencontre d'un autre genre lui
rendit tout son courage.
Quelqu'un de rape, de honteux, d'ebloui par la lumiere, traversait le
boulevard; c'etait le vieux Marestang, ancien senateur, ancien ministre
si gravement compromis dans l'affaire des _Tourteaux de Malte_, que,
malgre son age, ses services, le grand scandale d'un proces pareil, il
avait ete condamne a deux ans de prison, raye des registres de la Legion
d'honneur, ou il comptait parmi les grands dignitaires. L'affaire deja
ancienne, le pauvre diable, gracie d'une partie de son temps, venait de
sortir de prison, eperdu, deroute, n'ayant pas meme de quoi dorer sa
detresse morale, car il avait fallu rendre gorge. Debout au bord du
trottoir, il attendait la tete basse que la chaussee encombree de
voitures lui laissat un passage libre, embarrasse de cet arret au
coin le plus hante des boulevards, pris entre les pietons et ce flot
d'equipages decouverts, remplis de figures connues. Monpavon, passant
pres de lui, surprit ce regard timide, inquiet, implorant un salut et
s'y derobant a la fois. L'idee qu'il pourrait un jour s'humilier ainsi
lui fit faire un haut-le-corps de revolte. "Allons donc!... Est-ce que
c'est possible?..." Et, redressant sa taille, le plastron elargi, il
continua sa route, plus ferme et resolu qu'avant.
M. de Monpavon marche a la mort. Il y va par cette longue ligne des
boulevards tout en feu du cote de la Madeleine, et dont il foule encore
une fois l'asphalte elastique, en museur, le nez leve, les mains au dos.
Il a le temps, rien ne le presse, il est maitre du rendez-vous. A chaque
instant il sourit devant lui, envoie un petit bonjour protecteur du bout
des doigts ou bien le grand coup de chapeau de tout a l'heure. Tout le
ravit, le charme, le bruit des tonneaux d'arrosage, des stores releves
aux portes des
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