iche, cela lui
tenait lieu de tous les vices, de tous les crimes, le designait a des
vengeances anonymes, a des inimities cruelles et incessantes.
"Ah! Messieurs, criait le pauvre Nabab en levant ses poings crispes,
j'ai connu la misere, je me suis pris corps a corps avec elle, et c'est
une atroce lutte, je vous jure. Mais lutter contre la richesse, defendre
son bonheur, son honneur, son repos, mal abrites derriere des piles
d'ecus qui vous croulent dessus et vous ecrasent, c'est quelque chose de
plus hideux, de plus ecoeurant encore. Jamais, aux plus sombres jours de
ma detresse, je n'ai eu les peines, les angoisses, les insomnies dont
la fortune m'a accable, cette horrible fortune que je hais et qui
m'etouffe... On m'appelle le Nabab, dans Paris... Ce n'est pas le Nabab
qu'il faudrait dire, mais le Paria, un paria social tendant les bras,
tout grands, a une societe qui ne veut pas de lui..."
Figees en recit, ces paroles peuvent paraitre froides; mais la, devant
l'Assemblee, la defense de cet homme paraissait empreinte d'une
sincerite eloquente et grandiose qui etonna d'abord, venant de ce
rustique, de ce parvenu, sans lecture, sans education, avec sa voix
de marinier du Rhone et ses allures de portefaix, et qui emut ensuite
singulierement les auditeurs par ce qu'elle avait d'inculte, de sauvage,
d'etranger a toute notion parlementaire. Deja des marques de faveur
avaient agite les gradins habitues a recevoir l'averse monotone et grise
du langage administratif. Mais a ce cri de rage et de desespoir pousse
contre la richesse par l'infortune qu'elle enlacait, roulait, noyait
dans ses flots d'or et qui se debattait, appelant au secours du fond
de son Pactole, toute la Chambre se dressa avec des applaudissements
chaleureux, des mains tendues, comme pour donner au malheureux Nabab ces
temoignages d'estime dont il se montrait si avide, et le sauver en
meme temps du naufrage. Jansoulet sentit cela et, rechauffe par cette
sympathie, il reprit, la tete haute, le regard assure:
"On est venu vous dire, Messieurs, que je n'etais pas digne de m'asseoir
au milieu de vous. Et celui qui l'a dit etait bien le dernier de qui
j'aurais attendu cette parole, car lui seul connait le secret douloureux
de ma vie; lui seul pouvait parler pour moi, me justifier et vous
convaincre. Il n'a pas voulu le faire. Eh bien! moi, je l'essaierai,
quoiqu'il m'en coute. Outrageusement calomnie devant tout le pays, je
dois a moi-meme, je dois a mes enfa
|