cafes debordant jusqu'au milieu des trottoirs. La mort
prochaine lui fait des sens de convalescent, accessibles a toutes les
finesses, a toutes les poesies cachees d'une belle heure d'ete sonnant
en pleine vie parisienne, d'une belle heure qui sera sa derniere et
qu'il voudrait prolonger jusqu'a la nuit. C'est pour cela sans
doute qu'il depasse le somptueux etablissement ou il prend son bain
d'habitude; il ne s'arrete pas non plus aux Bains Chinois. On le connait
trop par ici. Tout Paris saurait son aventure le soir meme. Ce serait
dans les cercles, dans les salons un scandale de mauvais gout, beaucoup
de bruit vilain autour de sa mort; et le vieux raffine, l'homme de la
tenue, voudrait s'epargner cette honte, plonger, s'engloutir dans le
vague et l'anonymat d'un suicide, comme ces soldats qu'au lendemain des
grandes batailles ni blesses, ni vivants, ni morts, on porte simplement
disparus. Voila pourquoi il a eu soin de ne rien garder sur lui de ce
qui aurait pu le faire reconnaitre, fournir un renseignement precis aux
constatations policieres, pourquoi il cherche dans cet immense Paris
la zone eloignee et perdue ou commencera pour lui la terrible mais
rassurante confusion de la fosse commune. Deja depuis que Monpavon est
en route, l'aspect des boulevards a bien change. La foule est devenue
compacte, plus active et preoccupee, les maisons moins larges,
sillonnees d'enseignes de commerce. Les portes Saint-Denis et
Saint-Martin passees, sous lesquelles deborde a toute heure le
trop-plein grouillant des faubourgs, la physionomie provinciale de la
ville s'accentue. Le vieux beau n'y connait plus personne et peut se
vanter d'etre inconnu de tous.
Les boutiquiers, qui le regardent curieusement, avec son linge etale,
sa redingote fine, la cambrure de sa taille, le prennent pour quelque
fameux comedien executant avant le spectacle une petite promenade
hygienique sur l'ancien boulevard, temoin de ses premiers triomphes...
Le vent fraichit, le crepuscule estompe les lointains, et tandis que la
longue voie continue a flamboyer dans ses detours deja parcourus,
elle s'assombrit maintenant a chaque pas. Ainsi le passe, quand son
rayonnement arrive a celui qui regarde en arriere et regrette... Il
semble a Monpavon qu'il entre dans la nuit. Il frissonne un peu, mais ne
faiblit pas, et continue a marcher la tete droite et le jabot tendu.
M. de Monpavon marche a la mort. A present, il penetre dans le dedale
complique des rues bruyante
|