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ent immobiles et
frissonnants autour de la malediction paternelle. Toujours il
reverra ce grand vieillard, aux joues convulsees et remuantes,
marchant sur lui avec cette bouche de haine, ce regard de haine,
proferant les paroles qu'on ne pardonne pas, le chassant de la
maison et de l'honneur:
-- Va-t'en, pars avec ta gueuse, tu es mort pour nous!...
Et les petites bessonnes criant, se trainant a genoux sur le
perron, demandant grace pour le grand frere, et la paleur de
Divonne, sans un regard, sans un adieu, pendant que la-haut,
derriere la vitre, le doux et anxieux visage de la malade
demandait pourquoi tout ce bruit et son Jean s'en allant si vite
et sans l'embrasser.
Cette idee qu'il n'avait pas embrasse sa mere l'a fait revenir a
mi-route d'Avignon; il a laisse Cesaire avec la voiture au bas du
pays, pris la traverse et penetre dans Castelet par le clos, comme
un voleur. La nuit etait sombre; ses pas s'empetraient dans la
vigne morte, et meme il finissait par ne plus pouvoir s'orienter,
cherchant sa maison dans les tenebres, deja etranger chez lui. La
blancheur des murs crepis le guidait enfin d'un reflet vague; mais
la porte du perron etait fermee, les fenetres partout eteintes.
Sonner, appeler? Il n'osait, par crainte de son pere. Deux ou
trois fois il a fait le tour du logis, esperant trouver l'issue
d'un volet mal clos. Partout la lanterne de Divonne avait passe
comme chaque soir; et apres un long regard a la chambre de sa
mere, l'adieu de tout son coeur a sa maison d'enfance qui le
repousse elle aussi, il s'est enfui desespere avec un remords qui
ne le quitte plus.
D'ordinaire, pour ces absences de duree, ces traversees aux
dangereux hasards de la mer et du vent, les parents, les amis,
prolongent les adieux jusqu'a l'embarquement definitif; on passe
la derniere journee ensemble, on visite le bateau, la cabine du
partant afin de mieux le suivre dans sa route. Plusieurs fois par
jour, Jean voit passer devant l'hotel de ces affectueuses
reconduites, parfois nombreuses et bruyantes; mais il s'emeut
surtout d'un groupe familial a l'etage au-dessous du sien. Un
vieux, une vieille, des gens de campagne a tournure aisee, en
veste de drap et cambresine jaune, sont venus accompagner leur
garcon, l'assistent jusqu'au depart du paquebot; et penches a leur
fenetre, dans le desoeuvrement de l'attente, on les voit tous les
trois, se tenant par le bras, le matelot au milieu, bien serres.
Ils ne parlent pas, ils s'e
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