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reprendre mon travail; et si j'ai consenti a etre a votre charge, c'est
que je comptais sur la necessite qui me rendrait bientot le droit de
m'acquitter envers vous. Allons, j'irai demain chercher de l'ouvrage,
et dans quelques jours je gagnerai au moins de quoi assurer le pain
quotidien.
--Quelle misere! s'ecria de nouveau Horace, irrite de voir sa fierte
vaincue. Et quand tu auras pourvu aux exigences de la faim, en quoi
serons-nous plus avances? irons-nous mettre un a un nos effets au
Mont-de-Piete?
--Pourquoi non, s'il le faut?
--Et les creanciers?
--Nous vendrons ces bijoux que vous m'avez donnes bien malgre moi, et ce
sera toujours de quoi gagner du temps.
--Folle! ce sera une goutte d'eau dans la mer. Tu n'as aucune idee de la
vie reelle, ma pauvre Marthe; tu vis dans les nues, et tu crois que l'on
se tire d'affaire par une peripetie de roman.
--Si je vis dans les romans et dans les nues, c'est vous qui l'exigez,
Horace. Mais laissez-moi en descendre, et vous verrez bien que je n'y ai
pas perdu le gout du travail et l'habitude des privations. Est-ce que je
suis nee dans l'opulence? Est-ce que je n'ai jamais manque de rien, pour
avoir le droit de me montrer difficile?
--Eh bien, voila, dit Horace, ce qui m'humilie, ce qui me revolte. Tu
etais nee dans la misere; je ne m'en souvenais pas, parce que je te
voyais digne d'occuper un trone. Je conservais le parfum de ta noblesse
naturelle avec un soin jaloux. Je prenais plaisir a te parer, a
preserver ta beaute comme un depot precieux qui m'a ete confie. A
present il faudra donc que je te voie courir dans la crotte, marchander
avec des bourgeoises pour quelques sous; faire la cuisine, balayer la
poussiere, gater et empuantir tes jolis doigts, veiller, patir, porter
des savates et rapiecer tes robes, etre enfin comme tu voulais etre au
commencement de notre union? Pouah! pouah! tout cela me fait horreur,
rien que d'y penser. Ayez donc une vie poetique et des idees elevees
au sein d'une pareille existence! Je ne pourrai jamais rever, jamais
penser, jamais ecrire. S'il faut que je vive de la sorte, j'aime mieux
me bruler la cervelle.
--Depuis trois mois que nous menons une vie de princes, vous n'ecrivez
pas, dit Marthe avec douceur. Peut-etre la necessite vous donnera-t-elle
un elan imprevu. Essayez, et peut-etre que vous allez vous illustrer et
vous enrichir tout a coup.
--Elle me sermonne et me raille par-dessus le marche! s'ecria Horace en
fra
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