nger de
maitre.
Cet etat de choses constituait un bonheur incomplet, coupable en
quelque sorte; car aucun des deux amants n'y gagnait moralement et
intellectuellement, ainsi qu'il l'aurait du faire dans les conditions
d'un plus pur amour. Je crois qu'on doit definir passion noble celle qui
nous eleve et nous fortifie dans la beaute des sentiments et la grandeur
des idees; passion mauvaise, celle qui nous ramene a l'egoisme, a la
crainte et a toutes les petitesses de l'instinct aveugle. Toute passion
est donc legitime ou criminelle, suivant qu'elle amene l'un ou l'autre
resultat, bien que la societe officielle, qui n'est pas le vrai
consentement de l'humanite, sanctifie souvent la mauvaise en proscrivant
la bonne.
L'ignorance ou, la plupart du temps, nous naissons et mourons par
rapport a ces verites, fait que nous subissons les maux qu'entraine leur
violation, sans savoir d'ou vient le mal et sans en trouver le remede.
Alors nous nous acharnons a alimenter la cause de nos souffrances,
croyant les adoucir par des moyens qui les enveniment sans cesse.
C'est ainsi que vivaient Marthe et Horace: lui croyant arriver a la
securite en redoublant d'ombrage et de precautions pour regner sans
partage; elle, croyant calmer cette ame inquiete en lui faisant
sacrifice sur sacrifice, et donnant par la chaque jour plus d'extension
a sa douloureuse tyrannie; car dans toutes les especes de despotisme,
l'oppresseur souffre au moins autant que l'opprime.
Le moindre echec devait donc troubler cette fragile felicite; et, la
jalousie apaisee, la satiete devait s'emparer d'Horace. Il en fut ainsi
des que son existence redevint difficile. Un ennemi veillait a sa porte,
c'etait la misere. Pendant trois mois il avait reussi a l'ecarter, en
confiant a Marthe une petite somme que ses parents lui avaient envoyee
en surplus de sa pension. Cette somme, il l'avait demandee pour payer
des dettes _imprevues_, dont il n'osait avouer qu'une tres-petite
partie, tant elles depassaient le budget de sa famille; et au lieu de la
consacrer a amortir cette portion de la dette, il l'avait attribuee
aux besoins journaliers de son nouveau menage, accordant a peine aux
creanciers quelques legers _a-compte_, dont ils avaient bien voulu se
contenter. Son tailleur etait le moins compromis dans cette banqueroute
imminente. J'avais donne ma caution, et je commencais a m'en repentir
un peu, car les depenses allaient leur train, et chaque fois qu'on
presentait le
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