ant surtout le Nabab
et l'instant favorable pour lui sauter dessus, l'entrainer dans un coin
de ces immenses pieces et negocier enfin leur emprunt. Car voila ce
qu'ils attendaient depuis deux heures, voila l'objet de leur visite
et l'idee fixe qui leur donnait, pendant le repas, cet air egare,
faussement attentif. Mais ici plus de gene, plus de grimace. Cela se
sait dans ce singulier monde qu'au milieu de la vie encombree du Nabab
l'heure du cafe reste la seule libre pour les audiences confidentielles,
et chacun voulant en profiter, tous venus la pour arracher une poignee a
cette toison d'or qui s'offre d'elle-meme avec tant de bonhomie, on ne
cause plus, on n'ecoute plus, on est tout a son affaire.
C'est le bon Jenkins qui commence. Il a pris son ami Jansoulet dans une
embrasure et lui soumet les devis de la maison de Nanterre. Une grosse
acquisition, fichtre! Cent cinquante mille francs d'achat, puis des
frais considerables d'installation, le personnel, la literie, les
chevres nourricieres, la voiture du directeur, les omnibus allant
chercher les enfants a chaque train... Beaucoup d'argent... Mais comme
ils seront bien la, ces chers petits etres; quel service rendu a Paris,
a l'humanite! Le gouvernement ne peut pas manquer de recompenser d'un
bout de ruban rouge un devouement philanthropique aussi desinteresse.
"La croix, le 15 aout..." avec ces mots magiques, Jenkins aura tout ce
qu'il veut. De sa voix joyeuse et grasse, qui semble toujours heler un
canot dans le brouillard, le Nabab appelle: "Bompain." L'homme au fez,
s'arrachant a la cave aux liqueurs, traverse le salon majestueusement,
chuchote, s'eloigne et revient avec un encrier et un cahier a souches
dont les feuilles se detachent, s'envolent toutes seules. Belle chose
que la richesse! Signer sur son genou un cheque de deux cent mille
francs ne coute pas plus a Jansoulet que de tirer un louis de sa poche.
Furieux, le nez dans leur tasse, les autres guettent de loin cette
petite scene. Puis, lorsque Jenkins s'en va, leger, souriant, saluant
d'un geste les differents groupes, Monpavon saisit le gouverneur: "A
nous." Et tous deux, s'elancant sur le Nabab, l'entrainent vers un
divan, l'asseyent de force, le serrent entre eux avec un petit rire
feroce qui semble signifier: "Qu'est-ce que nous allons lui faire?" Lui
tirer de l'argent, le plus d'argent possible. Il en faut, pour remettre
a flot la _Caisse territoriale_, ensablee depuis des annees, enlisee
jusqu'en
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