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generale de premiere classe. Malheureusement sa sante ne lui avait pas
permis de garder ce beau poste,--les gens bien informes disaient que sa
sante n'y etait pour rien,--et depuis un an il vivait a Paris, attendant
d'etre gueri, disait-il, pour reprendre sa position. Les memes gens
assuraient qu'il ne la retrouverait jamais, et que meme, sans de hautes
protections... Du reste, le personnage important du dejeuner; cela se
sentait a la facon dont les domestiques le servaient, dont le Nabab
le consultait, l'appelant "monsieur le marquis," comme a la
Comedie-Francaise, moins encore par deference que par fierte, pour
l'honneur qui en rejaillissait sur lui-meme. Plein de dedain pour
l'entourage, M. le marquis parlait peu, de tres haut, et comme en se
penchant vers ceux qu'il honorait de sa conversation. De temps en temps,
il jetait au Nabab, par dessus la table, quelques phrases enigmatiques
pour tous.
"J'ai vu le duc hier... M'a beaucoup parle de vous a propos de cette
affaire... Vous savez, chose... machin... Comment donc?
--Vraiment?... Il vous a parle de moi?" Et le bon Nabab, tout glorieux,
regardait autour de lui avec des mouvements de tete tout a fait
risibles, ou bien il prenait l'air recueilli d'une devote entendant
nommer Notre-Seigneur.
--Son Excellence vous verrait avec plaisir entrer dans la... ps... ps...
ps... dans la chose.
--Elle vous l'a dit?
--Demandez au gouverneur... l'a entendu comme moi."
Celui qu'on appelait le gouverneur, Paganetti de son vrai nom, etait un
petit homme expressif, et gesticulant, fatiguant a regarder, tellement
sa figure prenait d'aspects divers en une minute. Il dirigeait la
_Caisse territoriale_ de la Corse, une vaste entreprise financiere, et
venait dans la maison pour la premiere fois, amene par Monpavon; aussi
occupait-il une place d'honneur. De l'autre cote du Nabab, un vieux,
boutonne jusqu'au menton dans une redingote sans revers a collet
droit comme une tunique orientale, la face tailladee de mille petites
eraillures, une moustache blanche coupee militairement. C'etait
Brahim-Bey, le plus vaillant colonel de la regence de Tunis, aide
de camp de l'ancien bey qui avait fait la fortune de Jansoulet. Les
exploits glorieux de ce guerrier se montraient ecrits en rides, en
fletrissures de debauche, sur sa levre inferieure sans ressort, comme
detendue, ses yeux sans cils, brules et rouges. Une de ces tetes qu'on
voit au banc des accuses dans les affaires a huis clos
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