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s nouvelles armes, a deja rejete loin de lui tout le venin de sa
rancune. Et puis, les favoris des cours, par des exemples fameux, sont
toujours prepares a ces eclatantes disgraces. Ce qui epouvante c'est
ce qu'il devine derriere cet affront. Il pense que tous ses biens sont
la-bas, maisons, comptoirs, navires, a la merci du bey, dans cet Orient
sans lois, pays du bon plaisir. Et, collant son front brulant aux vitres
ruisselantes, la sueur au dos, les mains froides, il reste a regarder
vaguement dans la nuit aussi obscure, aussi fermee que son propre
destin.
Soudain un bruit de pas, des coups precipites a la porte.
"Qui est la?
--Monsieur, dit Noel entrant a demi-vetu, une depeche tres urgente qu'on
envoie du telegraphe par estafette.
--Une depeche!... Qu'y a-t-il encore?..."
Il prend le pli bleu et l'ouvre en tremblant. Le dieu, atteint deja deux
fois, recommence a se sentir vulnerable, a perdre son assurance; il
connait les peurs, les faiblesses nerveuses des autres hommes... Vite a
la signature... _Mora_... Est-ce possible?... Le duc, le duc, a lui!...
Oui, c'est bien cela... _M..o..r..a..._
Et au-dessus:
_Popolasca est mort. Elections prochaines en Corse. Vous etes candidat
officiel._
Depute!... C'etait le salut. Avec cela rien a craindre. On ne traite
pas un representant de la grande nation francaise comme un simple
mercanti... Enfonces les Hemerlingue...
"O mon duc, mon noble duc!"
Il etait si emu qu'il ne pouvait signer. Et tout a coup:
"Ou est l'homme qui a porte cette depeche?
--Ici, monsieur Jansoulet," repondit dans le corridor une bonne voix
meridionale et familiere.
Il avait de la chance, le pieton.
"Entre, dit le Nabab."
Et, lui rendant son recu, il prit a tas, dans ses poches toujours
pleines, autant de pieces d'or que ses deux mains pouvaient en tenir et
les jeta dans la casquette du pauvre diable begayant, eperdu, ebloui
de la fortune qui lui tombait en surprise dans la nuit de ce palais
feerique.
XII
UNE ELECTION CORSE
_Pozzonegro, par Sartene._
Je puis enfin vous donner de mes nouvelles, mon cher monsieur Joyeuse.
Depuis cinq jours que nous sommes en Corse, nous avons tant couru, tant
parle, si souvent change du voitures, de montures, tantot a mulet,
tantot a ane, ou meme a dos d'homme pour traverser les torrents, tout
ecrit de lettres, apostille de demandes, visite d'ecoles, donne de
chasubles, de nappes d'autel, releve de clochers branlants et fo
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