la tete de l'aine ne tenait pas toute la place; il goutait, pour la
premiere fois depuis son retour en France, quelques minutes d'un repos
delicieux en dehors de sa vie bruyante et factice, serre contre ce
vieux coeur maternel qu'il entendait battre a coups reguliers comme le
balancier de l'horloge centenaire adossee a un coin de la chambre, dans
ce grand silence de la nuit et de la campagne que l'on sent planer sur
tant d'espace illimite... Tout a coup le meme long soupir d'enfant
endormi dans un sanglot se fit entendre au fond de la chambre. Jansoulet
releva la tete, regarda sa mere, et tout bas:
"Est-ce que c'est?...
--Oui, dit-elle, je le fais coucher la... Il pourrait avoir besoin de
moi, la nuit.
--Je voudrais bien le voir, l'embrasser.
--Viens!"
La vieille se leva, grave, prit sa lampe, marcha a l'alcove dont elle
tira le grand rideau doucement, et fit signe a son fils d'approcher,
sans bruit.
Il dormait... Et nul doute que dans le sommeil quelque chose revecut en
lui qui n'y etait pas pendant la veille, car au lieu de l'immobilite
molle ou il restait fige tout le jour, il avait a cette heure de grands
sursauts qui le secouaient, et sur sa figure inexpressive et morte un
pli de vie douloureuse, une contraction souffrante. Jansoulet, tres emu,
regarde ces traits maigris, fletris, terreux, ou la barbe, ayant pris
toute la vitalite du corps, poussait avec une vigueur surprenante, puis
il se pencha, posa ses levres sur le front moite de sueur et, le sentant
tressaillir, il dit tout bas gravement, respectueusement, comme on parle
au chef de famille:
"Bonjour, l'Aine."
Peut-etre l'ame captive l'avait-elle entendu au fond de ses limbes
tenebreuses et abjectes. Mais les levres s'agiterent, et un long
gemissement lui repondit, plainte lointaine, appel desespere qui remplit
de larmes impuissantes le regard echange entre Francoise et son fils et
leur arracha a tous les deux un meme cri ou leur douleur se rencontrait:
"Pecaire!" le mot local du toutes les pities, de toutes les tendresses.
Le lendemain, des la premiere heure, le branle-bas commenca par
l'arrivee des comediennes et des comediens, une avalanche de toques,
de chignons, de grandes bottes, de jupes courtes, de cris etudies, de
voiles flottant sur la fraicheur du maquillage; les femmes en grande
majorite, Cardailhac ayant pense que pour un bey le spectacle importait
peu, qu'il s'agissait seulement de faire resonner des voix fausses dans
de joli
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