ux. Le ballon se decoupe sur le ciel,
en une vaste silhouette noire qui se balance au-dessus de la plaine; il
est tire par des groupes humains qui ressemblent de loin a des ombres
echappees du monde infernal. Tous ces travailleurs sont fatigues et
silencieux. On dirait l'apparition fantastique d'une legende.
A 7 heures, la lune se montre et complete le merveilleux de cette scene
bizarre; elle nous eclaire de ses rayons, et se reflete sur l'aerostat, en
lui donnant l'aspect d'une grande sphere de metal poli.
S'il fallait continuer quelques heures de plus un semblable voyage, nous
ne tarderions pas a tomber de fatigue, au milieu des champs. Les pauvres
mobiles ont les mains coupees par les cordes, ils marchent avec peine
dans la terre labouree. Depuis que la lune s'est montree, le froid
est insupportable.--Une bise glacee nous paralyse dans la nacelle.
Heureusement nous apercevons dans le lointain le petit village de
Rebrechien qui allume ses feux du soir.
C'est la terre promise qui s'ouvre a nous. Il faudra demain recommencer le
voyage. Mais une bonne nuit nous aura rendu nos forces.
A 8 heures, nous faisons arreter le ballon a l'entree du village. Il y a
douze heures que nous sommes traines en ballon captif, il y a douze heures
que nos mobiles tirent sur des cordes de toute la force de leurs poignets:
ma foi ce sont de solides gaillards, et bien d'autres a leur place
auraient succombe a la tache. Mais leur bonne volonte est a la hauteur de
leurs poignes, ils aiment, malgre eux, leur ballon captif qui leur a donne
tant de mal, car leur instinct leur fait comprendre qu'il y a la quelque
chose de nouveau, d'inconnu, d'utile. Braves coeurs! Ils aiment la patrie,
ils sont pleins d'ardeur, pleins de zele. Que n'aurait-on pas fait avec de
tels soldats! Mais il aurait fallu savoir les conduire, les soigner. Ils
travailleront demain avec la meme ardeur, mais a condition que ce soir ils
dineront et dormiront bien. C'est ce qui ne leur arrive pas tous les jours
en presence de l'ennemi. Prives de sommeil, prives de nourriture, accables
de fatigue, ils fuient sous le feu des batteries prussiennes. Mais qui
donc tiendrait tete a des solides combattants quand les privations de
tous genres ont transforme l'homme robuste en un malade, chez lequel
l'abattement, le decouragement ont succede au courage, a la resolution? Un
estomac trop longtemps vide ne sait plus avoir d'energie.
Avant de nous livrer a un repos dont nous avons tous
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