nes serrees et compactes se mettent en marche pour forcer la
vallee d'Yvre-l'Eveque qui ouvre l'entree du Mans. Elles sont recues
par des mitrailleuses et des troupes de ligne, qui font leur devoir. A
plusieurs reprises les Prussiens reviennent contre cette barriere qu'ils
veulent enlever, mais ils sont repousses et reculent. A cinq heures, ils
cessent d'attaquer ce point qu'ils renoncent a franchir.
Que se passe-t-il sur les autres points du champ de bataille? Je l'ignore.
Mais il semble que la canonnade ennemie est moins nourrie, moins
puissante.
Combien je regrette de me trouver la a pied, au milieu de la neige, au
lieu de gravir l'espace dans la nacelle de notre ballon, pour embrasser
d'un seul coup d'oeil le champ de bataille.--Mais toutefois la colline ou
je me trouve me parait un point favorable pour le lendemain.
A 6 heures, le soleil commence a descendre a l'horizon. Le feu des ennemis
est ralenti, le bruit du canon est affaibli. Nul doute les Prussiens
s'eloignent! A 7 heures, des signaux lumineux s'elevent successivement de
toutes nos batteries qui eteignent leurs feux! Tout a coup le silence de
la mort succede au vacarme qui a retenti pendant 12 heures. Mais il ne me
semble pas douteux que la victoire est de notre cote.
Je retourne au Mans. Tout le monde est dans l'enthousiasme; les Prussiens
sont battus, dit-on, de toutes parts ils reculent. Pas une batterie
francaise n'a bouge de place, demain on poursuivra l'ennemi[8].
[Note 8: Le general Chanzy a publie un remarquable ouvrage sur les
operations militaires de la 2e armee. On pourra voir, en lisant ce livre,
que nos appreciations sur les incidents de la bataille du Mans sont
exactes. Du reste, les Prussiens eux-memes, une fois arrives dans le
chef-lieu de la Sarthe, ont affirme que le soir du 11 janvier ils avaient
recu l'ordre de battre en retraite, comme nous l'avons appris en passant
au Mans sous la Commune.]
Nous passons la soiree dans un etat d'excitation facile a comprendre.
Notre joie est encore retenue par des sentiments de doute dont nous ne
pouvons nous defendre. Car nous avons ete si souvent le jouet d'illusions!
Mais cependant le general Chanzy cette fois a tenu bon, s'il n'a pas
vaincu, au moins il n'a pas cede un metre de terrain.
A minuit, nous commencions a sommeiller quand on nous reveille en sursaut.
C'est une estafette du general Chanzy qui me remet la lettre suivante,
dont voici la copie textuelle:
"11 janvier 1871.
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