tonnerre pendant la tempete. Depuis deux jours, ce concert
lugubre frappe sans cesse nos oreilles.
Le capitaine des mobiles preside a la distribution des vivres de ses
soldats, nos marins cherchent des habitations ou ils pourront trouver un
abri. Quant a nous, l'hospitalite nous est offerte par de braves paysans.
Ils ouvrent aux aerostiers leur humble maisonnette; un feu flambant
petille dans l'atre; l'hotesse prepare a notre intention un repas frugal
compose d'une omelette et de fromage arroses de vin blanc. Le soir, apres
l'inspection du ballon qui s'agite toujours convulsivement sous le souffle
de l'air, nous rentrons nous coucher, mon frere et moi, etendus tout
habilles sur deux matelas places a terre. Le capitaine et le lieutenant de
la compagnie de mobiles restent assis au coin du feu. La chambre qui nous
abrite est ouverte a tous les vents, les carreaux des fenetres ont ete
brises par les Prussiens a l'epoque de leur premiere visite a Orleans. Ces
pillards n'ont rien respecte dans l'humble habitation; quand ils y sont
entres, on leur a donne des fromages, du pain et du vin, tous les vivres
de la campagne, mais ils ont casse sans pitie les chaises, les commodes,
ils ont brise un vieux coucou, precieux souvenir de famille, ils ont mis
en morceaux une glace, seul objet de luxe de l'ameublement de la pauvre
chaumiere.
A minuit, des pas sonores nous reveillent en sursaut. Ce sont des mobiles
qui viennent appeler le capitaine.
--Venez, capitaine, disent-ils, on entend au loin un bruit singulier; sur
toutes les routes c'est comme le roulement de nombreuses voitures, on
croit apercevoir aussi des cavaliers qui passent sur le sol glace.
Tout le monde est bientot sur pied. Rendus a travers champ a la route
la plus proche, un sinistre defile s'offre a nos yeux. Des voitures
d'approvisionnement passent en files serrees, puis ce sont des cuirassiers
qui trottent au milieu des tenebres suivis d'une formidable procession de
canons et de caissons d'artillerie. Ca et la des soldats egares traversent
les champs, comme des ombres effarees, sautent par dessus les haies;
mornes, abattus, ils marchent la tete basse, sans rien dire, sans rien
voir, leurs vetements sont en lambeaux, les uns ont la tete enveloppee
d'un foulard, les autres, demi-nus, se drapent dans de mechantes
couvertures; ceux-ci boitent et trainent le pas, ceux-la ont le bras en
echarpe, quelques-uns, maladifs et pales, s'appuient sur l'epaule d'un
ami.
--To
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